Bethsabée de Torgny Lindgren

Bethsabée de Torgny Lindgren
(Bat Seba)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Myrco, le 5 septembre 2014 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
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Très beau texte d'inspiration biblique

Le personnage de Bethsabée, épouse de David et mère de Salomon, auquel l'Ancien Testament ne consacre que quelques lignes, a néanmoins inspiré quelques chefs d'œuvre picturaux dont je ne citerai que le fameux "Bethsabée au bain" de Véronèse ou le "Bethsabée au bain tenant la lettre de David " de Rembrandt.
Quelques siècles plus tard, l'écrivain suédois Torgny Lindgren s'en est emparé lui aussi pour nous livrer un texte d'une beauté sublime, un texte habité auquel il a su imprimer une tonalité digne de sa source.

Rappelons les quelques éléments que nous livre la Bible à ce sujet (*). Se promenant sur la terrasse de son palais, le roi David aperçoit la jeune épouse de l'un de ses soldats, Urie le Hittite, alors qu'elle prend son bain. Frappé par sa beauté, il la fait venir à lui, la possède et la met enceinte. Pour sauver la face, il fait en sorte de faire revenir le mari de la guerre afin que celui-ci ait des relations avec sa femme, mais les choses ne se déroulent pas comme prévu; il donne l'ordre au commandant de son armée, Joab, de lancer une attaque risquée afin qu'Urie y perde la vie. David épouse Bethsabée et l'enfant nait.
Le prophète Nathan apprend alors à David que Dieu mécontent, non seulement ne laissera pas survivre cet enfant, mais que des luttes fratricides décimeront sa famille et priveront ses aînés (Amnon et Absalom) du pouvoir...

Lindgren, tout en restant fidèle à la trame biblique compose là un roman magnifique, inspiré, conférant à ses personnages une épaisseur humaine souvent contrastée, pétrie de chair et de passions. S'y déploie la force du désir que souligne parfois une symbolique indissociée du sexe et du pouvoir, et son cortège de conséquences funestes, adultère, crimes, inceste, violence et luttes guerrières, dans une mise en perspective constante de soumission à ou de transgression de la puissance divine.
Si le roi David en demeure une figure dominante, sous la plume de l'auteur, Bethsabée ne lui cède en rien. L'élu de Dieu n'est plus ici le vaillant guerrier de sa jeunesse mais un être à la fois soucieux de plaire et de rendre gloire à son Dieu et, en même temps enclin à se dédouaner de toute responsabilité en reportant ses fautes sur les autres ou en invoquant la volonté divine. Au fur et à mesure du récit, il apparait de plus en plus indécis, s'en remettant à son épouse, de plus en plus influencé et dépendant. En parallèle, la jeune femme pure du début, ne s'appartenant pas et soumise à un abus de pouvoir, va endosser un statut privilégié, prendre conscience de sa charge de reine et habilement, par ses intrigues et manipulations diverses amener un autre de ses fils au pouvoir, exerçant elle-même une régence après la mort du roi: vision moderne et féministe de cet épisode biblique.

Au-delà, et c'est aussi la matière du livre, l'auteur nous entraîne dans une réflexion complexe et profonde sur la nature de Dieu, du sacré et de la sainteté. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce sont essentiellement les femmes qui portent les interrogations, que ce soit la candeur de Bethsabée ou la révolte d'Ahinoam (première épouse de David):
"Si Dieu a créé l'homme avec ses imperfections (...)
alors, c'est Dieu le coupable"
"comment Dieu peut-il permettre que cela se passe ?"
"Pourquoi Dieu tue-t-il des enfants ?"

D'ailleurs, une question obsessionnelle parmi d'autres traverse le livre:
"Comment Dieu est-il donc ?"
Mais les réponses sont les réponses habituelles, jamais iconoclastes :
Dieu est à l'image de l'homme puisque l'homme (peut-être pas n'importe lequel) est à l'image de Dieu. David l'élu répond :
"il est comme moi",lui dont il est dit "parfois son pardon était illimité, parfois sa soif de sang inextinguible"
toutes réponses et affirmations (dont la liste serait longue) qui pour moi n'en sont pas et ne peuvent que heurter et renforcer l'athée que je suis même si l'on m'objecte qu'il s'agit là du Dieu des hébreux plus cruel que miséricordieux.

Ce livre, je l'avais reçu en cadeau lors de sa sortie en France en 1986. A l'époque , je ne connaissais pas encore le nom de Torgny Lindgren considéré aujourd'hui comme l'un des écrivains majeurs suédois contemporains. En raison de la nature du sujet sans doute, je lui aurai fait subir un purgatoire de près de trente années ! Il était temps qu'en dépit de cela, je puisse rendre hommage à une prose somptueuse, puissante et inventive que je ne puis qu'inviter à découvrir!

(*)voir chap.11 et 12 du 2ème Livre de Samuel et chap.1 et 2 du Livre des Rois.





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