Les heures sauvages
de Bruno Roy

critiqué par Libris québécis, le 12 juin 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Un orphelin de Duplessis
Les orphelins du Québec confiés aux bons soins des communautés religieuses ont fait couler beaucoup d'encre depuis la publication du livre de Pauline Gill en 1991 intitulé Les Enfants de Duplessis (ancien Premier ministre). Rangés au rang des aliénés mentaux pour faire majorer les subsides gouvernementaux, des enfants ont pris le chemin des instituts psychiatriques, où la vie se résumait à se bercer à grands coups d'ennui quand ils n'étaient pas battus ou agressés sexuellement. L’auteur, lui-même victime du système, a dénoncé la situation avec deux romans, Les Calepins de Julien et Les Heures sauvages.

Cette dernière œuvre s'attache à Vincent Godbout, un ado de 16 ans, qui a décidé de fuir son institution pour se libérer de ses chaînes. Conduit dans cet établissement après la mort de ses parents adoptifs dans un accident d'avion, le jeune héros a vécu un régime de violence qui a exacerbé son instinct de colère. C'est dans un tel état qu'il s'est retrouvé en 1961 au centre-ville de Montréal, où il n'avait pas imaginé se buter au même esprit qui prévalait à l'intérieur des murs de sa prison. Il faut dire qu'il a voulu « délier son âme dans la rue la plus noire qu'il pût trouver ». Il s'est senti impuissant devant son destin, marqué du sceau de la violence caractéristique de nos sociétés modernes, d'autant plus que l'établissement qui l'avait pris en charge l'avait condamné à l'analphabétisme.

En se libérant du carcan institutionnel, Vincent voulait trouver un sens à sa vie. Ce n'est pas facile quand, sur son chemin, on ne rencontre qu'un « homme gris » qui ne connaît que le sentier de la mort. Ce clochard désespéré, amoureux de la poésie, lui révèle plutôt toute la misère morale et la pauvreté qui caractérisent notre destin en lui citant des vers de Rilke. Cette rencontre énigmatique ne fut pas assez déterminante pour que Vincent suive ses pas qui mènent au fleuve entourant l’île de Montréal, tombeau de nombreuses déveines. Il veut savourer la vie. C'est Madeleine qui l'aidera à atteindre son objectif. Serveuse au restaurant Select, elle lui enseignera que, malgré la vilenie du monde, on peut trouver la satisfaction de vivre à travers l'amour, promesse de toute rédemption. En soudant leurs blessures, les deux espèrent se libérer des heures sauvages, responsables de leurs malheurs.

L'auteur, décédé en 2010, a construit son roman à la manière du calendrier liturgique qui culmine vers la fête de Pâques. Il nous fait vivre le calvaire d'un orphelin, qui traverse les ténèbres pour entendre finalement L'Hymne à la joie de Beethoven dans les bras salvateurs de son âme sœur. C'est un beau roman qui s'incarne dans le Red Light de Montréal (quartier de la prostitution). La petite histoire, la philosophie de la vie et les émotions s'entremêlent à travers une écriture des plus poétique. Bruno Roy coordonne plutôt sommairement l'agir, mais les sentiments s’expriment avec justesse.