Il a tué Jaurès de Dominique Paganelli

Il a tué Jaurès de Dominique Paganelli

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par JulesRomans, le 24 mai 2014 (Nantes, Inscrit le 29 juillet 2012, 65 ans)
La note : 8 étoiles
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Oui, not' Monsieur oui not' bon Maître, pourquoi ont-ils tué Jaurès ? Et acquitté Villain?

"Il a tué Jaurès" est un ouvrage d’histoire qui essaie de faire le point des certitudes que l’on peut avoir: sur la personnalité de l’assassin de Jaurès dans les années qui précèdent le crime, les conditions du crime, les arguments échangés lors du procès et ce que devint Raoul Villain dans les deux années qui suivent son procès et sur ses conditions de vie (et de mort) en Espagne de 1932 à 1936. Raoul Villain était originaire de Reims et il fit ses études au lycée qui porte le nom de Jean Jaurès aujourd'hui.

Là où l’ouvrage est le plus intéressant c’est d'abord pour raconter les jours qui précèdent l’assassinat et les circonstances. La lecture attentive du livre, en précisant bien que se trouvaient sortant des bureaux d’un journal vraisemblablement radical-socialiste "L’Ère nouvelle", dont les bureaux étaient rue du Croissant à la fois le député du Jura Georges Ponsot, le pharmacien Jules-Paul Guinepied (né à Brinon dans la Nièvre en 1881) et un chirurgien brésilien, met fin à une légende. Légende rapportée en ces termes par Jean-Pierre Rioux dans son "Jean Jaurès" :

«Le pharmacien du coin refusera de céder une ampoule pour instiller le moribond : "Je ne donne rien pour cette crapule, pour ce bandit qui est responsable de la guerre!"»

Or dans "Il a tué Jaurès" il est bien précisé, ce qui d’ailleurs est tiré selon nous d’un article "Le centenaire de la Société thérapeutique" d’Eugène-Humbert Guitard dans la "Revue d'histoire de la pharmacie" de l’année 1966, que la pharmacie du quartier donna à Jules-Paul Guinepied ce qu’il demandait pour tenter de sauver le député du Tarn.

Pour le lecteur passionné par la personnalité de Jaurès cet ouvrage "Il a tué Jaurès" n’apporte pas de véritable nouvelle information, si ce n’est sur les stratégies et les acteurs du procès. Mais ce n’est pas un mince mérite ! Le procès s'ouvre le 24 mars 1919 devant la cour d'assises de la Seine.

Il est bon de savoir qu’Alexandre Zévaès, qui choisit le pseudonyme de Zévaès en hommage aux écrivains Michel Zévaco (1860-1918, anarchiste) et Jules Vallès (1832-1885, socialiste) est un ancien député guesdiste puis socialiste indépendant de l’Isère à la Belle Époque. Outre l’impression de sa plaidoirie prononcée à la cour d'assises le 29 mars 1919 dans l'affaire Raoul Villain intitulée "La Politique de Jaurès devant le jury de la Seine", Alexandre Zévaès proposa deux ouvrages sur Jean Jaurès une biographie en 1938 et un ouvrage d’actualité (de plus de 250 pages) en 1941 "Un apôtre du rapprochement franco-allemand, Jean Jaurès". Comme il avait été (aussi) l’avocat des députés communistes déchus de leur mandat en mars 1940 et interné sur ordre des Allemands pendant six mois à Fresnes, nul n’osa venir lui chercher des ennuis à La Libération.

Il sut utiliser le contenu des débats contradictoires, au moment du procès, entre les socialistes majoritaires en 1914 et les socialistes pacifistes (à la tête de la SFIO, on est juste avant le Congrès de Tours) pour distiller le doute chez les jurés autour de la culpabilité de Villain. Onze des douze jurés, dont aucun n’a été mobilisé durant la Grande Guerre, répondent non à la première question sur la culpabilité de Villain. Comme l’explique bien Dominique Paganelli:

« Ils n’ont pas jugé le crime. Ils ont apprécié le geste. Pour eux, Villain n’a pas commis de faute en assassinant Jaurès. Il n’est donc pas coupable » (page 187).

Dominique Paganelli rappelle qu’un des jurés, sous couvert d’anonymat, expliqua dans un journal, que l’on était dans l’ordre du crime passionnel et donc que l’on n’avait pas à faire payer pour cela… Dominique Paganelli offre là les informations les plus sûres autour du drame, et cet ouvrage a le mérite de pouvoir lever le doute sur ce qui est véritable anecdote (par exemple page 43 Abel Ferry craignant tellement l’assassinat de Jaurès qu’il en fait quasiment la prédiction) et légendes. Par ailleurs il livre des clés de meilleure compréhension de l’époque, ainsi précise-t-il par exemple que Joseph Drioux qui instruit l’Affaire Villain est celui qui avait fait arrêter Guillaume Apollinaire lors de l’Affaire du vol de la Joconde en 1911 (ce sujet est largement évoqué dans le roman pour adolescents "Elle posait pour Picasso") et par ailleurs révèle l’attitude noble de Barrès dans les circonstances et les termes odieux employés par Péguy pour désigner Jaurès avant l’attentat.

Rappelons enfin que le meurtre de Jaurès a été évoqué dans de nombreux romans, et il est le thème principal de "L’Irresponsable", un roman paru dans l’Entre-deux-guerres dont nous avons personnellement été le "découvreur" (voir notre présentation sur Critiques libres). "Jaurès" de Jean-David Morvan, Frédérique Voulyzé et Rey Macutay est une BD qui sort à la mi-juin 2014, il sera intéressant de voir comment sont présentés l'assassinat de Jaurès et le procès de Villain.

Enfin il est bon de savoir que le Centre national et musée Jean Jaurès de Castres propose (aux côtés des collections permanentes) l'exposition temporaire "L'affiche en guerre" du 22 mai au 28 septembre 2014.

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