La grosse galette
de John Dos Passos

critiqué par Kabuto, le 11 mai 2014
(Craponne - 63 ans)


La note:  étoiles
Les années folles
On retrouve la même structure que dans le 42e parallèle et 1919. La vie de quelques-uns nous permet de suivre l’évolution des États-Unis après la Première Guerre mondiale. L’Amérique s’enrichit, les Américains boursicotent, Hollywood se développe mais surtout, les inégalités sociales explosent. Bref ! Le pays de l’oncle Sam devient la grande puissance du XXe siècle tel que nous la connaissons. Encore une fois, Dos Passos intègre dans son roman des bribes d’actualités, des portraits de célébrités de l’époque et son œil caméra - toujours aussi indigeste pour moi – mais ce qui fait avant tout la force de ce roman, c’est bien sûr sa galerie de personnages. Des nouveaux visages mais aussi quelques vieilles connaissances qui se débattent dans une société où il est bien difficile de se faire une place au soleil. Des héros malmenés, malheureux pour la plupart qui m’ont semblé subir leurs destins. L’ensemble est assez pessimiste mais très réaliste et on n’a aucun mal à s’identifier à ces jeunes gens.
Alors que dans les romans précédents l’espoir était encore possible, cette fois c’est l’heure du bilan. Les illusions de jeunesse sont bien loin et le constat est amer. J’ai quand même ressenti une certaine lassitude avec ce troisième volet de la trilogie U.S.A. l’impression de revivre toujours un peu les mêmes histoires, les mêmes désillusions mais heureux d’être arrivé au bout avec le sentiment d’avoir vécu au cœur des années folles.
Troisième roman de la Trilogie : « U.S.A. » 9 étoiles

« U.S.A. » est une trilogie : « 42e Parallèle », « 1919 » et « La grosse galette ». Trois gros romans écrits entre 1927 et 1936, parus aux Etats Unis respectivement en 1930, 1932 et 1936 - encore est-il bon de préciser que certaines éditions ont titré pour le second épisode (« 1919 ») ; « L’An premier du siècle » ?
Des prémices de la guerre européenne de 1914 – 1918 à celle-ci, que les USA regarderont d’abord de loin, se frottant les mains des affaires de ventes d’équipements faites aux divers belligérants - alors les « rois du monde » - et prenant très vite conscience que cette guerre est leur chance de passer devant, de s’imposer économiquement dans le monde. Puis l’après-guerre, les casinos boursiers où des fortunes se font et se défont plus vite que le temps de le dire. C’est tout cet ensemble que nous raconte John Dos Passos avec une prescience que, pour ma part, je trouve étonnante.
Sur la forme, c’est là encore d’une inventivité et d’un modernisme étonnants. John Dos Passos cherche – et parvient – à créer l’illusion de la vitesse et du tournis donnés par des informations télévisuelles par la forme qu’il adopte. Les trois romans sont construits de la même manière. Un peu – si j’ose la comparaison – un pâté en croûte dans lequel on aurait inséré des morceaux de foie gras. Le pâté lui-même ce sont les chroniques, d’une trentaine de pages, consacrées à un personnage ciblé qu’on va suivre sur un évènement court ou sur une période plus longue, qui pourra revenir plus tard, ou croiser, encore plus loin, un autre personnage dans une autre chronique. Ces chroniques – littéralement la chair de ces trois romans - sont titrées du nom du personnage.
La croûte, ce serait les « Actualités », qui enrobent chacune des chroniques, sur 2 – 3 pages, écrites de manière déstructurée ; des gros titres en caractères d’imprimerie, des commentaires, en italique, qui n’ont pas, ou lointain alors, rapport avec le titre précédent. John Dos Passos a sans conteste voulu recréer l’impression de survol qu’on peut avoir en survolant un journal et ses gros titres. Mais l’effet de « zapping » généré par ces passages du coq à l’âne évoque terriblement la télévision et des propres « actualités ».
Et les morceaux de foie gras alors, ce seraient les passages intitulés « L’œil-caméra » (là, l’intention est clairement affichée !), pour le coup complètement déstructurés, commençant au milieu d’une phrase, se terminant en cours de ligne par un blanc et continuant sur un autre sujet, apparemment du moins car, en fait, l’impression finale générée a du sens. Comme un sens poétique. Ca fait penser à certaines techniques d’Apollinaire, me semble-t-il, mais je n’irai pas plus loin n’ayant jamais approfondi Apollinaire.
Dans « La grosse galette », nous allons assister à l’explosion de fortunes américaines, boostées par les déclins politique et économique de l’Europe, l’irruption de nouveaux métiers tels la gestion d’image, la publicité et la faillite toujours plus poignante de ceux qui veulent, envers et contre tout, défendre le prolétariat, les syndiqués, littéralement pourchassés.
Vive la Bourse donc, et les bénéfices obtenus en jouant des actions contre les autres, notamment dans le domaine aéronautique naissant (c’est du moins le cas exemplaire que choisit John Dos Passos).
On parle de plus en plus de fric. De sommes de plus en plus importantes. L’alcool clandestin coule toujours autant à flot (et c’est la Prohibition !) et John Dos Passos semble définitivement avoir perdu ses illusions sur l’efficacité – la possibilité même ! – d’un pouvoir syndical qui contrebalancerait la toute – puissance économique des magnats. Perte des repères ? Oui c’est un peu ça … Un début de perte des repères.
C’est ainsi que se termine la Trilogie « U.S.A. ». Ouvert sur le restant du siècle dans le cadre d’une recherche à tout prix de la « galette » toujours plus omniprésente mais de repères moraux toujours plus fragiles. Tout ceci visualisé première moitié des années 30 … Chapeau M. Dos Passos !

Tistou - - 67 ans - 9 décembre 2014