Sur la piste du soldat inconnu
de Sophie Lamoureux

critiqué par JulesRomans, le 14 août 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Attention un soldat inconnu peut en cacher un autre laissant une veuve
"Sur la piste du soldat inconnu" se présente comme une recherche d’hypothèses sur l’identité du soldat inconnu. Rappelons que " l’attribution d'une pension à la veuve du soldat inconnu " fut inscrite sur le programme électoral de Philibert Besson élu député de la Haute-Loire en 1932, un personnage loufoque dont la popularité fut telle que Georgius, le cite dans sa célèbre chanson "Au Lycée Papillon" en 1936.

L’ouvrage est bâti autour de questions regroupées autour de trois points : son état-civil, sa vie durant le conflit, sa mort. Contrairement au ressort du scénario de la BD "L’Homme de l’année 1917" de Duval, Pécau et Mr Fab, il nous est dit ici que les méthodes de sélection des candidats à ce rôle furent présélectionnés afin d’être sûr que l’on n’aurait pas le moindre doute sur le fait que le soldat en question appartenait à un régiment métropolitain.

Dans chacun des trois chapitres, une série de questions permettent de dresser un certain nombre de caractéristiques sur un soldat inconnu banal. Reste qu’il pourrait être atypique, ainsi on sait que la scolarisation officiellement obligatoire est bien aléatoire dans les campagnes et il est téméraire d’écrire « l’inconnu savait lire et écrire » pour le point deux. Dans ce même second chapitre, on invite à s’interroger sur son moral au début de la guerre puis au cours de celle-ci ; ceci amène à questionner par exemple le contenu de la presse, sans préciser qu’évidemment les poilus ne lui faisaient aucune confiance.

Avec une grande habileté l’interrogation suscitée permet d’apporter des connaissances importantes en nombre et qualité. Ainsi dans " Et si l’inconnu avait fait toute la guerre ? " permet de soulever que le début de la guerre connaît offensive et contre-offensives, qu’avec l’enterrement dans les tranchées plus personne ne croit à une guerre courte, que la puissance du feu est incomparable à celle que connaissaient les soldats des guerres des deux empires.

Alors que beaucoup d’ouvrages documentaires pour les jeunes livrent des cartes de l’Europe en 1914 ou en 1920 (après les traités de paix) ici on a fait l’effort de proposer une carte anglaise e l’Europe avec les frontières que connaît le vieux continent entre fin 1913 (après la seconde guerre balkanique) et début 1914. D’autres illustrations sont remarquables, comme ce cliché, très explicite, de poilus dans la boue des tranchées, que l’on trouve page 68.

Parmi les simplifications on peut regretter que l’on demande de retenir que ce sont les plus pauvres qui sont dans les tranchées, alors qu’il aurait été bon de rappeler que nombre d’ouvriers sont retirés dans l’hiver 1914-15 du front pour continuer à être mobilisés dans les usines de guerre. Parmi les grades donnés, l’oubli de certains est regrettable (surtout celui de sergent-major), une erreur s’est glissée à propos du général de division et on aurait dû préciser que l’on évoquait ici l’infanterie.

Par ailleurs rapporter page 109 comme une vérité d’évangile que Daniel Cohn-Bendit aurait uriné sur la tombe du soldat inconnu sans mettre plus de précaution, est plus que gênant surtout si le titre du paragraphe a pour nom "mai 68, j’irai pisser sur vos tombes". Rappelons que l’information a pour origine Roger Souchal, député gaulliste qui s'exprimait ainsi à la chambre des députés: «Il ressort qu'une infime minorité d'étudiants, sous la conduite de M. Cohn-Bendit, ont profané la tombe du Soldat inconnu. Permettez au plus jeune déporté de la Résistance de vous demander de vous lever et de respecter une minute de silence en hommage aux combattants des guerres 14-18 et 39-45 qui ont lutté contre les amis de M. Cohn-Bendit.» Rappelons que les amis visés de "l'anarchiste juif allemand" sont les soldats allemands …

Enfin quand on écrit un livre sur ce sujet, il est regrettable de modifier l'esprit dans lequel se fit le choix du soldat inconnu, ce devait être un soldat et non un caporal (page 105) qui devait sélectionner le cercueil en question.

Plusieurs courriers et extraits d’un carnet d’un poilu terminent l’ouvrage avec deux poèmes d’Apollinaire. Rappelons à ce propos que pour de jeunes lecteurs existent les livres "Apollinaire, le poète combattant" de Jean-Michel Lecat et "1914, Guillaume Apollinaire s'en va-t-en guerre" de Yves Pinguilly, deux titres présentés sur Critiques libres.