Les amants
de Joël Schmidt

critiqué par Deashelle, le 7 mai 2014
(Tervuren - 15 ans)


La note:  étoiles
L'amour et le péché d'orgueil
Entre essai savant et corrosif sur l’amour courtois au Moyen-âge avec ses réunions rituelles très secrètes à la manière des anciennes bacchanales et dont on ne parle jamais à l’école et une supplique pour une mystique de l’amour humain, Joël Schmitt nous offre une sorte de fable rappelant la chute d’Icare et surtout le péché invétéré de l’homme le terrible hubris des anciens Grecs.

Grand historien et romancier devant l’éternel, Joël Schmitt examine les 31 codes du « fin’amore » de la tradition occitane, et nous invite à une méditation profonde sur la nature du désir, les épreuves et les allers retours de la passion amoureuse, et l’Epreuve entre toutes : celle du temps. En même temps : « Chercher le bonheur d’une vie c’est cela la véritable rébellion » (Ibsen). D’un bout à l’autre de l’ouvrage on retrouve le désir de rébellion contre le temps qui passe, contre la réalité du monde actuel réduite à une triste dimension et contre les rapports routiniers dans un couple.

La romance commence dans un 21e siècle honni entre un professeur et sa jeune élève. Le couple d’amoureux se retrouve à force de défis réussis, au cœur du Moyen-Age costumes à l’appui. Ils ont réussi la traversée du temps en suivant les règles édictées par La Minne, un manuel de l’amour courtois dans l’Allemagne du 14e siècle appliqué par des esprits rebelles à l’église on s’en doute, lors de cérémonies secrètes sensuelles et mystiques. Ces codes comportent des phrases sibyllines qui imposent aux Amants des épreuves, des contraintes, des entraves, des exigences de plus en plus sévères, pour atteindre différents états de cristallisations de l’amour et enfin atteindre le Sublime.
Il s’agit souvent d’un dur apprentissage et d’un asservissement mutuel car les exploits charnels ne sont jamais définitifs. Il y a une constante surenchère de l’imaginaire. Et l’écrivain de se laisser entraîner par ses personnages… à la recherche d’une autre vie mue par le plaisir de la jouissance et le désir jamais assouvi. Convoitise, cruels renoncements, dénis, victoires, les expériences sont souvent redoutables pour échapper à toute routine. La tentation finale fait s’écrouler tout l’édifice : L’amour a rejoint la dangereuse folie de l’hubris.

La femme semble jouir d’une liberté inimaginable pour l’époque. Intelligente, vivante, impitoyable. Aurore semble mener le jeu à la limite du sado-masochisme et trouve dans son amant un partenaire redoutable. Leur passion les dévore et ils s’entre dévorent jusqu’à la perte de conscience.

« Unbewust, Höchste Lust» dit Wagner, féru comme l’écrivain Joël Schmidt de médiévalisme. Le plus grand des plaisirs est dans l’inconscience. Se noyer dans l’autre dans un lâcher prise intégral. Les amants arrivent à la négation de l’individualité quitte à sombrer dans une folie paroxystique. Commettront-ils le pire ? Sombre peinture de la fusion charnelle et spirituelle de l’amour. Rien à voir avec la carte du tendre de Melle de Scudéry. Mais que serait la vie sans le désir ? Voilà l’ambiguïté, et que serait la vie, sans l’imaginaire?