L'expérience interdite
de Ook Chung

critiqué par Libris québécis, le 6 septembre 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le Métier d'écrivain
Ook Chung est arrivé à Montréal à l'âge de deux ans. Il est né au Japon de parents coréens. Comme écrivain, il compte quatre oeuvres à son actif, dont sa dernière est L'Expérience interdite. Avec ce roman, Ook Chung nous plonge dans un univers peu familier aux Occidentaux, soit la culture des perles et le trafic de la bile d'ours. L'auteur se fait pédagogue en incluant sa connaissance des sujets évoqués pour nous mener au coeur d'une dynamique beaucoup plus large. A partir d'un parallèle allégorique, il définit la particularité de l'écrivain au sein de l'humanité.
La linéarité étant inversée, il nous présente d'abord les objectifs que Bill Yeary, le héros machiavélique de ce roman, a atteints. C'est dans la troisième partie de l'oeuvre que nous apprenons comment lui est venue l'idée d'exploiter une usine d'écrivains sur l'île de Guam au large des Philippines. Après la mort d'Ama, sa bien-aimée pêcheuse de perles, il s'intéresse à cette industrie afin de s'enrichir promptement. Après son échec dans le domaine, il se tourne vers un commerce peu connu en Occident, soit la vente de la bile d'ours, dont on se sert dans la pharmacopée chinoise pour guérir les maladies de l'estomac. L'auteur nous familiarise donc avec ce trafic clandestin très lucratif et illicite même en Asie.
Comme le héros est friand de fric, il imagine une application des techniques employées avec les ours à des écrivains afin de les inciter à produire des chefs-d'oeuvre. Dans un château, il réussit à réunir des hommes qu'il encage après leur avoir fixé un genre de robinetterie pour cueillir la bile qu'ils secrètent. Ainsi, Bill Yeary pense-t-il obtenir plus facilement d'eux des oeuvres majeures qui feront sa fortune. L'auteur explique avec conviction comment cette idée farfelue peut prendre forme. La propension à la misanthropie du héros l'amène à accueillir chez lui les éclopés de la vie ou les solitaires qui préfèrent vivre en ermite. Ces derniers sont des hikimori, des reclus plus ou moins volontaires. Il va compter aussi sur les parents prêts à vendre leurs enfants comme ça se fait en Haïti. Nul remords n'affecte le héros, qui se dit, que, partout à travers le monde, on se livre à des trafics honteux sans que personne n'ose protester. Au banquet de la vie, on profite allègrement de la sueur des autres, même de celle des écrivains, dont on lit les oeuvres comme une friandise.
Dieu n'a-t-il pas condamné l'homme à souffrir et à mourir?
Pourquoi donc ne pas devancer son destin? Ook Chung dénonce cette vision misathrope, porteuse des pires horreurs. Son roman est une mise en garde contre l'exploitation de l'homme par l'homme. L'auteur oriente surtout son projecteur sur les écrivains, qui sont à la merci des éditeurs, de la publicité... Il souligne l'exercice difficile de ce métier, qui doit se libérer des pratiques esclavagistes qui l'entourent. L'expérience interdite que l'on décrit est incorporée dans une allégorie qui ne résulte pas d'une réflexion obscure. C'est écrit dans un langue simple, qui conviendrait à des adolescents si le sujet n'était pas métaphysique. En plus, c'est très instructif. On découvre la face caché de l'exostisme. Que l'on se rappelle les cas de Québécoises obligées de rapporter de la drogue cachée dans les replis intimes de leur corps à la suite de voyages en Amérique du Sud ! Bref, c'est un roman qui fait la promotion de l'être humain et, en particulier, celle de l'écrivain.
pas si facile... 7 étoiles

oui, moi aussi ce livre m'a plut mais je mettrais un bémol : Il faut pas mal relire notamment les passages philosophiques pour bien comprendre, c'est beaucoup dans l'abstrait en dehors de l'histoire elle-même qui est déjà très originale. Pas mal de mots à chercher dans le dico aussi (pour moi !) donc je ne dirais pas que c'est une lecture facile. Néanmoins là où Ook Chung est très fort, c'est qu'il marie parfaitement la métaphysique et le conte terre à terre. Il y a un je ne sais quoi de John Irving, qui nous fait sourire parfois de situation dramatiques....

Je ne regrette pas du tout d'avoir ouvert ce livre car on peut dire qu'il m'a enrichie !

Cuné - - 56 ans - 2 septembre 2004