Un jardin entouré de murailles de Robert Lalonde

Un jardin entouré de murailles de Robert Lalonde

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 3 septembre 2003 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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Vie littéraire et amoureuse de Marguerite Yourcenar

Flaubert s'identifiait à Madame Bovary. Pour Marguerite Yourcenar, semble-t-il qu'il en serait de même avec Hadrien, l'empereur qui fit d'Antinoüs son favori. Robert Lalonde s'est inspiré des biographies et des oeuvres du célèbre écrivain pour concocter un roman, qui évoque son univers littéraire et amoureux. Le coeur de l'intrigue repose sur un voyage fait au Québec en 1957 par Marguerite Yourcenar, qui devait y donner une série de conférences. Grace Frick, sa secrétaire américaine qui l'accompagne, sera mise à rude épreuve quand elle trouvera un billet sur lequel on elle lit ce qui suit: «M. déteste irrévocablement G. et bientôt s'en détachera.»
Les deux femmes quittent en train Petite Plaisance dans le Maine à destination de Montréal, où elles arrivent pendant l'été indien (octobre). Après une conférence prononcée dans un sous-sol d'église, rempli en grande partie par les membres du clergé, le duo se dirige vers Ottawa pour continuer la tournée. Malheureusement, à Montebello, ville à mi-chemin entre la métropole québécoise et la capitale nationale, Marguerite Yourcenar est hospitalisée suite à une subite insuffisance cardiaque. C'est à partir de cet incident que le roman prendra son élan pour plonger dans l'âme de cette auteure que Robert Lalonde «admire au-delà de tous et toutes».
Ce roman est un voyage dans tous les sens du mot. On visite les principaux attraits de Montréal et les environs de Montebello, qui rappelent les paysages rustiques de Breughe. Grace profitera du séjour de l'auteure à l'hôpital pour pêcher un petit maskinongé de sept kilos (esturgeon), mais surtout pour oublier le fameux billet trouvé dans une poche du manteau de Marg, diminutif désignant sa maîtresse. Comme pour tous les couples du monde, une rupture possible est bien suffisante pour chambouler l'être le plus équilibré de la terre. Elle n'est pas intéressée de retourner dans son Kansas natal, où ses «bourreaux de frères» ne considèrent la femme qu'avec un tablier autour de la taille, besognant au-dessus de ses marmites. Affaiblie par une mammectomie récente, elle se prépare à cette séparation, qui s'annonce d'autant plus douloureuse qu'elle avait trouvé, auprès de Marg, l'occasion rêvée de satisfaire ses intérêts culturels.
Quant au célèbre écrivain, il apparaît comme un monstre sacré, balayant du revers de la main toutes les amitiés qu'il noue. C'est une vedette capricieuse, incapable de la moindre contrariété. Il faut l'entendre reprendre les Québécois, qui l'indisposent par leur langage. Marg est difficile à vivre. Pauvre Grace ! Elle essuie sa mauvaise humeur en plus d'être sa bonne à tout faire, comme elle l'aurait été au Kansas. Heureusement, elle se valorise avec la traductrice des oeuvres de la grande dame. Grâce au séjour obligé à Montebello, la vie de Marg connaîtra un tournant. Comme elle malmène ceux qu'elle aime, son médecin traitant du Québec lui fera réaliser ses contradictions. Elle, qui a si bien décrit l'amour d'Hadrien, est incapable de sortir d'elle-même pour atteindre l'objectif qu'elle fixe aux autres. Parallèlement à l'apprentissage de l'amour dans sa propre vie, on parcourt aussi son univers littéraire. On voit comment se conçoit une oeuvre. C'est d'ailleurs au Québec qu'elle a développé le personnage d'Un homme obscur, qui correspond en partie à son médecin, qu'elle a encouragé à vivre selon une orientation sexuelle fortement dénoncée à l'époque.
Ce roman inspiré de la biographie de cette grande dame des lettres est offert dans une écriture digne de l'écrivain. Robert Lalonde rend hommage, à travers Marguerite Yourcenar, à tous les écrivains, dont ils évoquent constamment le souvenir, en particulier Gide et Montherlant, qui sont même mêlés au dénouement de cette oeuvre. L'auteur a sauté la muraille qui entoure les amours de Marguerite Yourcenar tout en gardant l'élégance de ne pas aller fouiner dans son alcôve. Cependant de nombreux points jettent de l'ombre sur son roman. On peut discuter de la structure, composée d'éléments qui s'amènent comme un cheveu sur la soupe. Les liens de la célèbre patiente avec son médecin par exemple sont assez improbables. Bref, le tissage de l'oeuvre est un peu «lousse» (pas assez serré). Certains passages aussi sont caractéristiques des romans jeunesse qui exploitent les actions rocambolesques. Et les tentatives humoristiques risquent également de rater la cible auprès du public adulte. Enfin, il est visible que Robert Lalonde a écrit ce roman en pensant à l'Hexagone. D'abord, il se montre un fin connaisseur de la littérature de nos cousins. Il leur rappelle aussi les clichés les plus éculés, comme les particularités terminologiques et syntaxiques de notre langage. L'auberge, où Grace habite pendant l'hospitalisation de Marg, évoque ma cabane au Canada que chantait Charles Trenet. Mais ce qui risque le plus de plaire dans le pays de nos ancêtres, c'est Grace qui s'exprime en anglais. Avec humour, l'auteur a parsemé son roman de phrases tirées du cours d'anglais 101 (d'initiation) pour imiter les tendances de ses cousins.
Nonobstant cet ombrage, l'auteur québécois offre en somme un roman fort et étoffé sur ce qu'est le véritable amour, indépendamment des partenaires atteints par les flèches de Cupidon. Et le plus intéressant, c'est qu'il glisse une héroïne célèbre dans une oeuvre débarrassée de l'anecdote inutile et concentrée sur un personnage poussé à appliquer à lui-même ce qu'il sait du sujet. À ce chapitre, c'est une vraie réussite.

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