Les sangs
de Audrée Wilhelmy

critiqué par Libris québécis, le 23 avril 2014
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Barbe Bleue revisité
En lisant ce roman, j’ai pensé aux sacrifices que les saints s’imposaient par amour pour Dieu. Leur relation au Créateur n’était pas seulement d’ordre cérébral. Elle s’établissait aussi en passant par le corps. Le Christ a donné sa vie pour l’humanité, et les saints l’imitent en offrant le leur au Seigneur. Certains jeunaient et d’autres se flageolaient ou portaient des cilices.

Le roman d’Audrée Wilhelmy suit ce sillon de la souffrance au lieu de celui de la violence. Souffrir pour celui que l’on aime, voire même mourir, l’ultime preuve d’amour. « Mourir d´aimer de plein gré, s´enfoncer dans la nuit, payer l´amour au prix de sa vie », chantait Charles Aznavour. L’œuvre s’accroche à toute une culture qui s’enracine dans le sacrifice inhérent au bonheur d’aimer. L’auteure a puisé dans cette source infiniment riche. Une source qui a fait vibrer Jeanne d’Arc, mais aussi tous les personnages de la culture, tels le Marquis de Sade, Werther, Sardanapalus et combien d’autres !

Il est difficile d’admettre qu’un gouffre mortel voisine l’état amoureux. Et pourtant, les fantasmes qui habitent les amants et les amantes s’abreuvent aussi à la même source. Tous connaissent les déviations qui attendent les amoureux pris dans une spirale destructrice. On en rit souvent, mais l’imaginaire s’en inspirerait si l’éducation reçue ne retenait pas les disciples d’Éros de franchir les barrières sociales de l’admissible. Comme Salomé, qui ne jouirait pas à son insu de recevoir sur un plateau la tête de son Jean-Baptiste ?

C’est autour de cette thématique que tourne Les Sangs d’Audrée Wilhelmy. Son héros, Féléor Berthélémy Rü, est un ogre sans commune mesure avec Barbe bleu, son légendaire frère. C’est un bel homme qui unit sa vie à sept femmes consentantes, prêtes à fredonner « je l’aime à mourir » de Francis Cabrel. Féléor se nourrit de leur amour sans les contraindre à quoi que ce soit. Le lecteur voyeur sera bien déçu. Elles courent vers la mort avec l’élan des martyrs qui couraient vers le bûcher.

L’auteure reprend un thème connu en renouvelant le mode d’emploi du roman érotique hard. Elle sait écrire sans ambages tout en respectant un niveau de langue prisable. Cependant la structure peut faire l’objet d’un bémol. Chacun des chapitres amène une nouvelle partenaire. Ça donne l’impression de lire un recueil de nouvelles. Aucun lien n’assure de transition à l’exception du héros, qui émet froidement une opinion sur celle qui vient de lui sacrifier sa vie. Âme sensible, s’abstenir.