Le corps
de Hanif Kureishi

critiqué par Saule, le 25 août 2003
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Changer de peau
Hanif Kureishi écrit des livres mais aussi des scénarios pour le cinéma et le théâtre. A son actif notamment le scénario de "My Bautiful Laundrette", un film réalisé par Stephen Frears en 1985 et plus récemment celui de "My son the fanatic". Pakistanais par son père et anglais par sa mère son sujet de prédilection est la frange sociale des immigrés, des laissés-pour-compte de la cité londonienne ainsi que toutes les minorités.
Ce recueil contient une longue nouvelle (ou un petit roman, c'est au choix) et plusieurs courtes nouvelles. La longue nouvelle c'est "Le corps" : le héros est un homme d'âge bien mûr (65 ans), un écrivain qui connait le succès et le bonheur conjugal. Lors d’une 'party' il se voit proposer de bénéficier d'une avancée médicale encore secrète : il pourra se choisir un corps parmi un vaste choix de spécimens beaux et fermes et on transplantera son esprit dedans. Il décide d’échanger son vieux corps pour six mois au terme desquels il reprendra son ancienne apparence. Réflexion philosophique, non dénuée d'humour et de suspens, cette nouvelle se lit avec plaisir.
Les autres nouvelles, plus typiques de Kureishi, m'ont davantage plu. Des nouvelles acérées. A l’instar de Raimond Carver (le roi de la nouvelle), Kureishi brille dans les situations apparemment anecdotiques mais qui prennent une signification particulière pour le personnage principal. Celui-ci est souvent un homme d'âge mur, parfois écrivain ou artiste, parfois émigré, souvent père de famille avec son enfant. Avec aussi en arrière-plan la ville tentaculaire de Londres. Ainsi le père indien qui conduit ses enfants au parc et dont l'après-midi est transformée lorsque le gamin envoie son ballon dans un arbre. Il y a aussi la courte nouvelle magnifique du couple qui décide de faire une cassette vidéo pour l'anniversaire de leur enfant. Avec son style simple, sobre et moderne, qui colle bien au sujet, Kureishi fait mouche à tous les coups. C'est le même ton décalé, teinté d’un humour mi-sardonique mi-bienveillant que celui de son recueil de nouvelles précédent, "La lune en plein jour".
Faux-semblants 8 étoiles

On attend toujours impatiemment le dernier opus de Kureishi, auteur indo-anglais de livres qui ont souvent inspiré le cinéma (My beautiful Laundrette, Intimité...). Et on est rarement déçu. Notamment de part le style, épuré, clinique, banalement ordinaire et pourtant capable, à l’instar d’un Raymond Carver, de rendre attachants les personnages les plus improbables.

Dans ce nouveau livre de nouvelles, dont la première, assez longue, aurait pu faire office d’un roman à lui tout seul, Kureishi présente quelques personnages qui flirtent avec la schizophrénie. Dont un certain Adam, dans la première nouvelle, qui pourrait être un double de Kureishi lui-même (romancier et londonien comme lui).Cet Adam, écrivain reconnu et heureux en ménage mais néanmoins quelque peu usé par la vie, décide de faire transplanter son cerveau dans un nouveau corps tout neuf, celui d’un jeune homosexuel narcissique récemment suicidé ; un peu comme George Orwell dans 1984, et sous couvert d’une histoire proche de la science fiction, Kureishi parle de problèmes universels (le culte de la jeunesse et de l’apparence, la recherche de l’immortalité...), particulièrement d’actualité en ce début de siècle.

Ses personnages, avec leurs failles, leurs doutes, leurs lâchetés parfois, sont souvent décalés et inadaptés à la férocité de la vie urbaine. Et certaines anecdotes banales font ressortir sans détour la vérité, souvent cruelle, de leurs vies, de leurs choix, de leurs mensonges, de leurs regrets...

Kureishi est férocement lucide, et particulièrement doué pour détecter les faux-semblants, et montrer sans complaisance l’envers du décor ; tout cela avec un regard distancié, mais néanmoins bienveillant, dans le sens surtout où il ne juge pas, où il se contente de montrer des faits, des gens, paradoxalement ordinaires et étranges pour certains, et qui nous semblent si familiers pourtant. Tout cela avec un style élégant assorti d’un humour d’autant plus percutant qu’il est lui aussi distancié.

Paracelse - Paris - 61 ans - 5 mai 2005