Un ciel rouge, le matin
de Paul Lynch

critiqué par Débézed, le 1 avril 2014
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Vain exil
Cette histoire pourrait s’inscrire au bout de toutes celles qui constituent l’épopée, la légende, du peuple irlandais d’Amérique sous la plume de Liam O’ Flaherty, Joseph O’Connor, Franck McCourt et bien d’autres encore, toute une longue page de la littérature irlandaise. Paul Lynch en écrit, lui, un chapitre sombre, celui évoquant ceux qui ont souffert et enduré mille maux pour rien. Les victimes de la loi de la violence, de l’égoïsme et du cynisme.

Il écrit l’histoire de Coll Coyle, le métayer pourchassé, qui pourrait symboliser le peuple irlandais fuyant devant l’oppression brutale des Anglais, arrivant en Amérique gonflé d’espoir et bien décidé à construire une nouvelle vie sur cette terre presque encore vierge mais la réalité y est bien différente de ce qu’il espérait. La loi du plus fort l’a précédé et il devient vite l’esclave de ceux qui sont arrivés avant, souvent d’autres Anglais. Et celle de Faller, le régisseur, chasseur cruel et sanguinaire, ne lâchant jamais sa proie, triomphant de tous les dangers, qui pourrait être l’incarnation du diable, Melmoth l’homme errant de Robert Charles Maturin, qui persécute les Irlandais depuis des millénaires. Un raccourci de l’histoire irlandaise à travers ces deux personnages dans un texte construit de petites scènes empilées les unes derrière les autres pour faire progresser le récit par bonds successifs dans un luxe de détails dépeignant les lieux et les êtres les peuplant.

Cette histoire commence quand, sans raison valable, un arrogant propriétaire anglais veut expulser Coll Coyle, un pauvre métayer vivant sur ses terres depuis sa naissance. Celui-ci n’entend pas quitter sa maison avec sa femme enceinte et sa fillette en bas âge, il veut fléchir le maître mais l’entrevue tourne mal, le propriétaire insulte et menace violemment le métayer et sa famille et brusquement le coup part puissant mortel, le maître tombe se fracassant la tête sur une pierre. Coyle n’a plus le choix, il doit fuir, traverser la péninsule d’Inishowen, rejoindre Derry, sans jamais parvenir à semer le cruel régisseur qui a juré d’avoir sa peau. Alors, au hasard, il part sur un bateau en partance pour n’importe où, pour l’Amérique en la circonstance. La traversée est longue, longue, pénible, périlleuse, les exilés se désespèrent, la maladie frappe et puis c’est enfin la terre, la terre d’Amérique, l’espoir…. L’espoir qui s’envole bien vite sur un chantier inhumain destiné à la construction d’une voie ferrée. Les conditions de vie y sont déjà très précaires quand l’épidémie rattrape les pauvres gueux épuisés, arrivés au bout de leur chemin, au bout de leur espoir, à la limite de leur existence.

Une occasion pour l’auteur de rappeler une page bien sombre de l’histoire américaine souvent pudiquement tue : la manière dont les Américains ont éradiqué de manière radicale des foyers d’épidémie dangereux apparus dans les lieux à forte concentration d’émigrés.
La fuite 7 étoiles

Le roman débute dans la campagne irlandaise, au 19 ème siècle, au sein d'une nature dense dont l'eau et le soleil semblent tenir les rênes. Coll Coyle est un jeune métayer qui vit avec sa petite famille dans une petite demeure jusqu'à ce qu'il apprenne que le propriétaire souhaite l'expulser lui et les siens. Remonté, il se précipite chez ce riche anglais pour avoir une conversation avec lui et connaître les raisons de ce choix. La malchance s'en mêle, l'entretien devient violent, le propriétaire meurt. Que faire lorsque l'on sait que ce riche et cruel propriétaire a des hommes de main prêts à tout pour défendre son honneur ? Il opte pour la fuite, mais c'est une véritable chasse à l'homme qui s'engage.

Ce roman est très bien écrit. La plume de Paul Lynch est poétique, mais il la trempe dans une encre noire, très noire. La nature est omniprésente, les éléments naturels aussi et les hommes semblent des pantins entre les mains de forces qui les dépassent comme cette épidémie contre laquelle ils sont impuissants. Le texte contient de belles métaphores et le paysage semble transfiguré par le regard de l'écrivain. Le texte alterne scènes d'action, angoissantes et violentes, et scènes de description. Ce dernier point m'a moins séduit même si l'écriture est appréciable.

Il est vrai que ce roman rappelle d'autres romans ou d'autres films. La partie qui se déroule en Amérique évoquera forcément certains souvenirs aux lecteurs connaissant la littérature américaine. Il y a un petit côté suranné dans ce roman qui n'est pas pour déplaire, mais qui risque d'entraîner un sentiment de déjà-vu.

Ce roman témoigne du talent d'auteur de Paul Lynch et se lit volontiers même s'il ne révolutionne pas le genre romanesque.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 11 mai 2014