Gaspard de René Benjamin

Gaspard de René Benjamin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 25 mars 2014 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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Un prix Goncourt (1915) oublié, à lire

Gaspard est un phénomène : sorte de Gavroche, parigot venant de la rue de la Gaîté, marchand d'escargots, déjà père d'un enfant, il est mobilisé et doit quitter sa Bibiche (c'est ainsi qu'il appelle la mère de son fils, avec qui il n'est pas marié), son petit et « sa vieille » pour le dépôt d'Alençon, d'où, une fois habillé et armé, il part pour le front lorrain. Il lui tarde de voir enfin des « Alboches ». il a conquis tout le monde par sa faconde, sa vision du monde élémentaire, mais toujours positive, ou presque. Il devient le cuistot.
Au front, c'est l’horreur, la pluie et la boue, la faim, les marches interminables, mais aussi la camaraderie : il se lie avec Burette, un journaliste, qui lui semble l'intellectuel opposé à lui, mais dont il raffole. Car il n'est pas inculte, c'est un grand lecteur de Dumas, de Hugo ("Les misérables"), de Rostand (il a vu six fois "Cyrano" au théâtre). Et il s'attache tous ses camarades, car sa roublardise, son sens de la dérision, sa joie enfantine, font merveille pour atténuer les horreurs de la guerre. Mais, dès la première escarmouche, ils sont pilonnés par l'artillerie et les mitrailleuses adverses, Burette est grièvement blessé sous ses yeux, le bataillon est décimé, et il reçoit des éclats d'obus à la fesse.
Il passe deux mois presque idylliques à l'hôpital, oubliant toutes les horreurs qu'il vient de vivre, pensant que la France court vers une victoire rapide, avec l'aide des Russes sur le front de l'Est, et s'employant dès qu'il peut se lever à effectuer des tâches d'intérêt général. Il s'y lie d'amitié avec trois infirmières volontaires, avec la bonne sœur qui fait le service de nuit, et avec un infirmier, clerc de notaire dans le civil.
Avant d'être réintégré, guéri, il se fait porter inapte, avec son nouvel ami Mousse, un savant professeur de grec. Mais l'oisiveté de la caserne, l'immobilisme, l'ennui, pour un remuant comme lui, l'incitent à demander un nouveau départ pour le front, d'autant plus que les volontaires bénéficient au préalable d'une permission de trois jours. Il profite justement de l'occasion de son passage à Paris pour légaliser son union avec Bibiche, ne voulant pas laisser un bâtard, en cas de décès. Mais à peine retourné au front, il découvre la terrible guerre de tranchée, il voit mourir son ami Mousse, et il est de nouveau blessé, plus gravement cette fois : on doit l'amputer d'une jambe.
Il part en convalescence dans un village de Normandie, où il est logé au château. Il fait la joie du châtelain et de tout le village par sa bonne humeur. Et, hasard imprévu, mais ô combien providentiel, il y rencontre un fabricant de prothèses qui lui propose un salaire de 300 francs pour travailler dans son entreprise. Libéré, il retrouve alors sa femme, son fils et sa « vieille ».
Gaspard est une figure qu'on n'oublie pas : sa jovialité, sa parole libre (l'auteur use d'un langage populaire assez bien venu, voisin de celui qu'on trouve chez un Henry Poulaille, par exemple, et qu'on ne sent pas forcé), sa bonté surtout. Quand Burette est touché, alors que lui-même a les fesses atteintes, il brave le danger, refuse de le laisser sous le feu allemand, il le porte sur ses épaules jusqu’aux tranchées et jusqu'à l'ambulance ; le pauvre Burette, qui sait qu'il va mourir, touché au ventre, souffre épouvantablement. Plus tard, il voit Mousse mourir sous ses yeux, puis être enterré sous la terre projetée par un nouvel obus. Quand il trouve, une fois rentré à Paris, unijambiste, la femme de Burette, il lui raconte la mort héroïque de son ami, en la mélangeant avec celle de Mousse, moins dramatique, pour que cette bourgeoise pense qu'il a eu une mort immédiate, sans souffrances.
Gaspard est un bon roman, alerte, qui méritait bien une réédition. Aucune pose héroïque, pas de complaisance dans le sordide non plus, ni de sentimentalisme facile, une gaîté bien rabelaisienne, l'auteur raconte avec simplicité ce qu'il a vu; Un bon prix Goncourt (1915) qui est autant un document qu'un roman. Très belle présentation, avec une solide préface et, en annexe, quelques lettres de lecteurs, poilus ou non du livre adressées à l'auteur, et un dossier de presse.

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