Dogs de Guillaume Cazenave

Catégorie(s) : Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique , Littérature => Francophone

Critiqué par Ellane92, le 21 mars 2014 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 48 ans)
La note : 8 étoiles
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une solution radicale au problème de surpopulation carcérale

Donatello Minaï est le Dog de la famille de Rolles. Ses comportements, ses gestes, ses activités, tout dans sa vie est lié à ce collier qu'il porte autour du cou et qui permet de circonscrire sa présence à un périmètre donné, de transmettre des décharges électriques quand il n'obéit pas assez promptement, et d'y accrocher une laisse pour les promenades avec sa maitresse. Toute la journée, il sacrifie au dieu Planning, dans lequel sont minutées toutes ses actions, y compris la conception d'un petit Dog avec la blonde Lisa, petite fée aux ailes brisées, la Dogue d'une amie de Mme de Rolles.
Mais nul ne soupçonne que réside sous le placide visage du Dog servile un dernier espace de liberté. Comme le Léviathan dont il lit les aventures avant de s'endormir, une force rebelle pleine d'énergie se trouve en lui, qui n'attend qu'une occasion pour s'enfuir de ce présent sans espoir d'amélioration. Aussi quand, par une chaude après-midi de canicule, Mme de Rolles a un malaise, Don n'hésite pas à la faire chanter pour obtenir le code d'ouverture de son collier et à s'enfuir dans la Ville Grise. Le Léviathan est lâché !

Si l'on évaluait l'évolution d'une société à la façon dont elle prend en charge ses prisonniers et ses personnes âgées (et personnellement, je trouve que c'est un bon indicateur), le niveau social de La Ville Grise, cadre dans lequel se déroule Dogs, frôlerait les pâquerettes. Les deux premiers chapitres de ce livre m'ont heurtée par leur violence. Qu'on se rassure, ces chapitres ne dévoilent pas des sévices sadiques inédits. Non. C'est la façon dont l'auteur, au travers de ces quelques pages, arrive à poser d'entrée de jeu un mode de vie dans lequel on nie, on efface, on déchoit des hommes et des femmes de cette caractéristique qui me parait pourtant inaliénable : être des êtres humains.
Les Dogs sont donc des êtres humains déchus suite au jugement d'un crime qu'ils ont commis. Rien à voir avec ces gentils toutous qui font la joie de la famille, trainant leurs puces du lit au canapé et attendant la queue battant d'un plaisir anticipé le remplissage de la gamelle ou la tournée des caniveaux. Le Dog tient plus de l'esclave que du chien, ne s'en rapprochant que par son statut de bête sans espoir d'évolution (un Dog reste un Dog, imaginons quand on nait Dog…) et, de plus loin, par quelques expressions du langage courant comme "il fait un temps de chien" ou "il le traite comme un chien". Le plus effrayant, dans cette acceptation commune du statut de Dog, c'est que, suite au "traitement" qu'ils subissent avant de rejoindre le chenil, adaptation réussie du conditionnement pavlovien (oui, oui, on reste dans le domaine canin), les Dogs sont les premiers à s'approprier leur condition, à l'assumer.
Après cette entrée en matière qui donne clairement le ton, le récit se déroule plus classiquement, avec la fuite de ce jeune héros et les différentes stratégies qu'il met en œuvre pour tenter de rester libre. On suit les coups d'éclat souvent futiles de Don, en se disant que tout cela ne va pas bien se terminer. Et en effet, dans Dogs, il n'y a pas de pardon ou de grâce, et pas beaucoup d'humains ou de Dogs pour redonner foi en l'espérance d'un devenir meilleur et plus humain.

J'ai apprécié plusieurs choses dans cet ouvrage. En premier lieu, la matérialisation des différentes instances psychiques qui accompagnent Don dans son évasion et dans sa fuite : ce qu'il appelle l'Inframonde d'une part et qui se manifeste par des voix, et le Léviathan de l'autre, réservoir d'énergie, mélange de colère et de ressentiment, qui ne demande qu'à exploser. Psychanalytiquement (on ne se refait pas), ce sont de jolies illustrations d'un surmoi sadique et des forces pulsionnelles de l'inconscient.
Le récit se déroule sous un rythme régulier, avec des moments de tension et de relâche. Des informations sont données au fil de la lecture sur le fonctionnement de cette société, sur le système Dog, sur le passé de Donatello. Le ton du récit est détaché, sans fioriture, presque clinique, impression renforcée par de nombreuses références à l'art cinématographique.
J'ai trouvé amusant le nom des chapitres : 26 chapitres, chacun commençant par une lettre de l'alphabet, déroulant l'abécédaire jusqu'à la fin.
J'ai moins aimé les "coquilles" typographiques de la version que j'ai lue (fautes d'accord par exemple), ou une propension importante à la répétition du sujet des phrases ("le Dog, il…"). J'ai trouvé également que la fin n'était pas à la hauteur du reste du récit, mettant en œuvre une sorte de Deus ex-machina assez peu crédible par rapport au reste, et offrant au lecteur un dénouement en demi-teinte.

Quoiqu'il en soit, l'avantage d'une dystopie (car Dogs en est une) est de pouvoir pointer du doigt des dysfonctionnements, de mettre en relief les conséquences de possibles choix de société. Dans ce cadre, Dogs peut être lu comme une parabole sur les laissés pour compte de la société, les prisonniers bien sûr, mais aussi les SDF (des chiens sans colliers !), les personnes âgées, les malades. J'y ai vu également des références aux grands crimes contre l'humanité : le tatouage du numéro d'identification des Dogs rappelle celui des prisonniers des camps de concentration, et les appels à la délation sont légion pour retrouver le Dog en fuite. En filigrane, ce livre aborde également la non-prise en charge de la maladie mentale, celle du malade bien sûr, mais aussi la douleur, plus souvent tue, de son entourage. Des sujets graves, évoqués en pointillé, dans un texte fluide et non dénué d'un humour souvent noir.

Il me reste à remercier chaudement Guillaume Cazenave qui m'a proposé de façon très courtoise de lire ce "premier roman" (il a par ailleurs publié des recueils de nouvelles, des livres pour enfant, des albums de musique…). Je lui souhaite bonne chance dans sa recherche d'éditeurs (la maison d'édition qui publiait ce roman a déposé bilan) et attends avec impatience de découvrir la prochaine histoire qu'il aura envie de nous raconter !

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