Malpasset - Causes et effets d'une catastrophe
de Eric Corbeyran (Scénario), Horne (Dessin)

critiqué par JulesRomans, le 22 mars 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Un passé qui passe mal
"Malpasset" est un des symboles de la catastrophe non naturelle mais technologique. En effet en décembre 1959 le barrage de Malpasset cède et les eaux contenues du Reyran se déversent dans la vallée distance d’environ 10 km de la mer. La ville de Fréjus voit la plupart de ses habitations endommagées, on compte 423 morts. Certes les pluies étaient exceptionnelles pour l’époque mais nombre d’erreurs sont humaines dans les choix de construction du barrage et la gestion de la montée des eaux. Ainsi pour ne pas endommager les travaux d’aménagement de l’autoroute, on décida de ne pas ouvrir la vanne de vidange.

Environ cinquante ans après, Corbeyran présent régulièrement dans la région où habite sa mère, interviewe les survivants. Ces récits oraux sont mis en scène, y compris celui de Jean-Paul Vieu à qui on doit la presque totalité des clichés de la catastrophe, une bonne partie d’entre eux est parue dans "Paris-Match" qui vient de rentrer de son service militaire en Algérie et qui avait travaillé avant son départ sous les drapeaux à "Nice-Matin". À ce propos un documentaire d’Arte, dont on attendait plus de rigueur, a fait état du fait que les services secrets allemands savaient que le FLN était à l’origine du drame. Cette thèse de l’attentat a été réfutée par un ensemble d’historiens et d’anciens fonctionnaires de la DST.

Il est à noter qu’un des dégâts collatéral de cet évènement fut l’entrée en politique de François Léotard (frère de l’acteur). Son père venait d’être élu maire modéré de Fréjus et il fut battu ultérieurement en 1971 pour avoir mal géré les conséquences de la catastrophe selon certains. François Léotard devient homme public par sa double élection comme maire en 1977 puis député en 1978 de Fréjus, afin de mieux réhabiliter l’action de son père auprès des Fréjusiens.

Le graphisme de cette BD en noir et blanc est très réaliste, la mise en pages est très élaborée et des gros plans sur des objets témoins de l’époque se retrouvent périodiquement.
Un très bon ouvrage... Une bédé documentaire... 9 étoiles

Depuis longtemps, certains auteurs tentent d’utiliser la bande dessinée pour faire du reportage. Certains essais furent de grande qualité et on a pu ainsi voyager dans le temps et dans l’espace. Plus rare – mais les cas existent quand même – sont les auteurs qui se sont lancés dans une véritable enquête pour donner sur un évènement non pas une vérité mais un éclairage complet. C’est ce travail que Corbeyran et Horne ont voulu faire avec la catastrophe de Malpasset et c’est très réussi !

Le Malpasset était un barrage du Var qui avait pour mission l’alimentation en eau de Fréjus et des terres agricoles de sa région. Le 2 décembre 1959, cinq ans après sa mise en service, il rompt sous le poids de l’eau qui s’est accumulée avec une série de précipitations hors normes. Il n’est pas question de donner toutes les explications techniques de la catastrophe – la justice n’y est jamais arrivée complètement – mais seulement de partir à la rencontre de ceux qui se souviennent de cette tragédie qui a fait 423 morts et plus de 7000 sinistrés.

Corbeyran, qui connait bien cette région où vit sa mère, part interviewer les témoins, les survivants, quelques décennies plus tard. Ici, il ne s’agit pas de tomber trop dans l’émotion, seulement d’être factuel, de mettre des mots sur des bruits, des chocs, des drames. Le dessinateur met tout son talent pour rendre compte de ces discussions, pour décrire les lieux, avant ou après le passage de la vague de 60 mètres… Enfin, l’album se termine par un dossier complémentaire avec texte et photographies.

Pour moi, c’est un travail remarquable que certains lecteurs de bandes dessinées n’apprécieront pas autant que les habituelles aventures qu’ils dévorent. En effet, ici, on est dans un autre rythme, dans un tempo accompagné par un humanisme solide et profond, par une empathie évidente des auteurs. On est loin du voyeurisme des chaines de télévisions d’information en continue, on prend son temps, on écoute, on comprend le ressenti de ces survivants, on mesure leur désarroi de ce 2 décembre 1959. Et, pourtant, ici, pas de larme, pas de cri ni de révolte exagérés. Tout est dans la mesure, dans la réflexion, dans la compréhension.

On pourrait croire que c’est parce que le temps a passé mais je ne suis pas certain de cette analyse. Je suis certain que le résultat de cette enquête est le signe de la grande qualité humaine des auteurs de ces interviews et cette bande dessinée. Ce sont eux qui ont construit ce que l’on aimerait avoir beaucoup plus souvent suite aux grands évènements… Et il a fallu que ce soit des auteurs de bédés qui réussissent cet exploit ! Merci !

Shelton - Chalon-sur-Saône - 67 ans - 21 février 2015