Kamouraska
de Anne Hébert

critiqué par Libris québécis, le 9 août 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Affranchissement de la Québécoise du X1Xe siècle
Kamouraska est un roman historique dans le sens qu'il est campé dans un siècle très mouvementé de l'histoire du Québec, soit le X1X siècle. D'ailleurs, certains personnages ont existé, tel le Dr. Nelson. Mary Soderstrom a récemment écrit la biographie de ce médecin, un Anglais qui a épousé la cause des patriotes de 1837.
Rares sont les romans qui s'attachent à cette période en donnant la parole à une femme, laquelle joue les seconds violons au sein de la société. Que l'on se rappelle que ce n'est depuis 1964 qu'elle a le droit d'avoir un compte bancaire au Québec. élisabeth, l'héroïne, refuse donc le carcan que l'on impose aux femmes. Malheureusement mariée sous pression à un ardent défenseur de la suprématie du mâle, en l'occurence le seigneur de Kamouraska, elle projette de le faire tuer par un jeune médecin de Sorel, qui n'est pas à son premier fait d'armes comme patriote de la rébellion de 1837-1839. Pour éviter l'échafaud, elle n'a pas le choix de se remarier avec un important notable, qui a le pouvoir de lui épargner la peine capitale.
C'est ce dont .lisabeth se rappelle au chevet de son mari agonisant. Le génie de cette oeuvre, c'est de présenter le bilan d'une vie mouvementée à partir des événements les plus marquants, lesquels ne s'insèrent pas nécessairement dans un ordre linéaire. Une fois que l'on a compris la technique, le roman qui semble rébarbatif devient facile à lire. C'est d'ailleurs l'oeuvre la plus réussie de l'auteure décédée en l'an 2000.
En gros, Anne Hébert montre l'affranchissement d'une femme des années 1830. Cette dernière s'oppose au pouvoir des hommes pour vivre pleinement selon sa nature. Hélas, pour sauver sa peau, sa lutte féministe se termine en queue de poisson. Il reste qu'elle s'est attaquée à la condition féminine d'un siècle qui ne pouvait même pas penser la remettre en question. L'héroïne est l'être exceptionnel qui a osé le faire à ses dépens. En ce sens, cette oeuvre rejoint l'esprit d'Angéline de Montbrun de Laure Conan qui déplorait que les hommes des années 1830 n'étaient pas à la hauteur des aspirations des femmes : «Quelle est donc cette prétendue sagesse qui n´admet que le terne et le tiède, et dont la main sèche et froide voudrait éteindre tout ce qui brille, tout ce qui brûle?»
L'écriture d'Anne Hébert convient bien pour ramasser un idéal dans un tout inséparable. Elle n'opère pas de compartiments, elle moule pour donner une oeuvre compacte qui n'attire pas le regard sur un point en particulier.
Bref, c'est une oeuvre qui dénonce les conditions qui ont relégué la femme à sa seule fonction de génitrice. Laure Conan et Anne Hébert sont curieusement deux célibataires qui ont déploré le manque d'enthousiasme des mâles. Est-ce pour cela qu'elles ne se sont pas mariées? Laure Conan a répondu oui à cette question en se servant de son héroïne qui a refusé l'amour de son prétendant.
L'amour meurtrier 7 étoiles

Élisabeth est la femme de Jérôme Rolland, notaire à Québec, qui se meurt lentement. Voilà plusieurs semaines qu’elle est au chevet de son mari, veillant sur lui. Mais Jérôme se méfie de sa femme, refusant par exemple qu’elle lui prépare ses médicaments. En effet, plus de dix ans auparavant, Élisabeth a été accusé de complicité dans le meurtre de son premier mari, Antoine Tassy, seigneur de Kamouraska.

La lecture de « Kamouraska » a évoqué pour moi les deux classiques que sont « Madame Bovary » et « Thérèse Raquin », et cela pour plusieurs raisons : le sujet du livre (une femme malheureuse en amour tentant d’échapper à sa condition) ainsi que l’époque où se déroule l’action sont identiques ; de « Madame Bovary » on retrouve dans « Kamouraska » l’ambiance bourgeoise étouffante; de « Thérèse Raquin », un schéma dramatique comparable (un mari assassiné par son propre ami, devenu amant de l’héroïne). Anne Hébert s’est-elle consciemment inspirée des romans de Flaubert et de Zola ? Difficile évidemment de l’affirmer. En tout cas elle tisse là, par-delà le temps, une filiation emblématique.

Mais si la thématique et le fond finalement s’ancrent assez fortement dans une certaine tradition du roman d’adultère, l’écriture utilisée est résolument moderne. Les changements de point de vue et les retours en arrière, de plus en plus long (à tel point que le récit passé prend le dessus sur le présent), les phrases sans verbe, les chapitres extrêmement courts (deux pages parfois) sont autant de marqueurs du XXème siècle (le roman date de 1970). Ces différents procédés ne facilitent d’ailleurs pas toujours la lecture du roman.

De par les thématiques qu’elle y déploie, par la façon dont elle le raconte, Anne Hébert a écrit là un roman extrêmement marquant. L’amour funeste, côtoyant la mort, hante le récit, dès le début du roman. La lente agonie de Jérôme Rolland et la fatigue nerveuse qu’elle engendre chez Élisabeth déclenche le souvenir du drame principal qui s’est joué quinze ans auparavant. La fièvre provoque chez Élisabeth un mélange du temps présent et passé, déformant parfois la réalité.

L’angoisse est palpable, la mort rôde : dans les premiers chapitres du livre, la lugubre charrette du marchand qui s’arrête à la porte de la demeure des Rolland évoque le bourreau venu chercher Élisabeth chargée de ses crimes; plus tard, Georges Nelson, amant éperdu d’Elizabeth, filant à travers le Québec tout de noir vêtu pour assassiner le mari détesté, est comme l’ange de la mort accomplissant sa mission.

Le roman offre une vision bien pessimiste de la condition de la femme. D’avoir essayé d’échapper au carcan d’une union malheureuse, Élisabeth n’y gagnera, en plus d’un amant en fuite, qu’une grande culpabilité (les bribes de son procès reviennent régulièrement dans ses souvenirs) et un esprit tourmenté par les fantômes du passé.

Fanou03 - * - 48 ans - 9 septembre 2014