Les années 70 : Premiers écrits
de Patti Smith

critiqué par AmauryWatremez, le 4 mars 2014
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Les enfants des années 70 et Patti Smith
J'ai lu aux éditions Tristram « Premiers écrits » de Patti Smith, qui complète le livre où elle raconte ses années 70 : « We were just kids », que je trouve nettement plus intéressant pour ma part, car plus vrai, plus authentique. Et c'est aussi car je suis aussi un enfant de ces années, né en 69, grandi pendant toute la décennie qui vit les derniers feux des illusions des années 60 et du « Summer of Love », et aussi des « Trente Glorieuses », avant le cynisme des années suivantes, le fric tout-puissant et les bourgeois se trouvant quelques alibis « durables » ou « équitables » pour maintenir l'illusion de leur ouverture au monde et de leur soudaine conscience sociale.

Patti Smith a plus la « carte » que les autres auteurs de ces années là : Pacadis et Yves Adrien, trop « électrons libres », trop indépendants, inclassables, ou que Hunter Thompson, le fameux « docteur Gonzo » qui n'en faisait qu'à sa tête quand il écrivait ses articles, trop incontrôlable, pas assez de cadres, pas assez de normes, pas assez scolaire. Patti connaît en effet les codes des milieux « kulturels » et « arty ». Elle sait ce qui leur plaît, ce qu'on peut leur vendre, elle a les mêmes références. Si l'on peut dire. Car il ne s'agit pas tant d'en avoir que de paraître les maîtriser...

Elle est agaçante, arrogante, narcissique, une petite fille qui minaude en jouant les compagnes de poète maudit, mais au fond elle reste malgré tout attachante, beaucoup plus que les auteurs actuels, pour qui s'aventurer place Clichy est en soi une expédition, une aventure, qui pantouflent dans les émissions « littéraires » en assurant le spectacle côté « bon client », ou « bonne cliente »...

Son livre est un recueil de fragments de poèmes, de prose, de chansons, écrits sur des nappes de restaurants, des feuilles volantes à en-tête d’hôtels de luxe que l'on feint de mépriser lorsque on est de ce milieu. Mais une fulgurance écrite n'importe où n'en est pas forcément une, que ce soit à jeun ou après quelques verres, fût-ce d'un bon alcool, ou après une « ligne » ou deux de poudre aux yeux dans les narines. Patti cultive son « louque » androgyne, son côté « grande liane » brune qui plaît à Robert Mapplethorpe, plate comme une limande, et un peu maigre entre Andy Warhol et François Hardy, icône des « gays » de fait, ce qui rajoute un « plus » non négligeable pour la « carte », les bourgeois se plaisant à verser dans le « kulturel » aimant à recenser les homosexuels parmi les artistes, les auteurs, les musiciens...

Elle chantait aussi, elle chante toujours, mais je préfère Debbie Harry, ou Nico, ou Marianne Faithful, moins chichiteuses dans leur art, qui sont allées plus loin, au risque de se cramer définitivement, au risque de se perdre, contrairement à elle, qui maîtrise tout, comme beaucoup de filles minces comme elles, plus ou moins anorexiques.

Durant toute notre enfance, toute notre adolescence, on nous a dit, comme Patti Smith, que tout était possible, que le monde était à nous, que rien n'était interdit, que nos désirs étaient tous légitimes, que nous pouvions, que nous devions nous libérer du passé, en faire table rase ; ceux qui le disaient sachant très bien que le temps des rêves grandioses était déjà terminé. Et puis il y eut la Crise durable, structurelle, le chômage de masse, le SIDA et le retour volontaire et assumé à la docilité la plus abjecte de la génération juste après la nôtre, qui préférait et préfère toujours, à de rares exceptions, fermer sa gueule et courber l'échine pour conserver quelques temps encore quelques acquis anciens, et facilités de consommation diverses.