Les grandes affaires criminelles de Haute-Saône et du Territoire de Belfort
de Bernard Hautecloque

critiqué par JulesRomans, le 4 mars 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
Quand sous la IIIe république vous entendez parler crimes sur la Haute-Saône vous sortez votre "Petit comtois" mais je vous serais Gray de sortir votre "Alsace" et votre "Frontière" quand vous entendez parler crimes sur mon Territoire !
Un titre pour rappeler que ne pas consulter les deux quotidiens belfortains couvrant côté laïc pour l’un la totalité de la IIIe république et l’autre côté catholique pour la moitié de la période traitée dans un tel ouvrage, ne relève certes pas du crime mais au moins du méfait. Méfait triplé puisque des petites erreurs concernent les conditions de non-annexion de la région de Belfort par l’Allemagne dans un cas et dans l’autre son nom de 1871 à 1918 où on ne parle pas de "Haut-Rhin non annexé" mais de "Haut-Rhin resté français". À noter que la population qui est donnée dans l’ouvrage pour le Territoire de Belfort n’est pas celle de 2007 mais celle de 1999, d’où un supplément de 5 000 habitants par rapport à celui indiqué.

Pour une un département très rural (la Haute-Saône) et un autre très industrialisé (le Territoire de Belfort) on a une seule cour d’assises. Le Territoire de Belfort disposa toujours d'un tribunal de grande instance et son procureur le plus célèbre, qui exerça de 1925 à 1927, fut Maurice Gabolde et fut garde des sceaux de gouvernements du maréchal Pétain. Dans "Les carnets du sergent fourrier" il raconte "sa Grande guerre", on en trouve la présentation sur Critiques libres.

D’ailleurs l’espace belfortain n’eût quasiment jamais d’École normale de filles et de 1880 à 1940 les élèves-maîtresses étaient à Vesoul, après 1945 on jugea bon de les envoyer à Besançon où elles restèrent jusqu’au passage de Jean-Pierre Chevènement à l’Éducation nationale peu de temps avant que les d’Écoles normales ne deviennent IUFM.

Question des limites de la Haute-Saône, nous ne serions pas allés chercher des poux à Bernard Hauteclocque, s’il n’avait péremptoirement déclaré que depuis 1829 le département n’a connu aucune modification de son territoire. En fait en 1971 une modification des limites communales entre Ruffey-le-Château (Doubs) et Brussey (Haute-Saône) lui fait gagner 11 habitants et dans la même dynamique en 1974 la commune de Frettes apporte 209 habitants en 1968 lorsqu’elle est détachée de la Haute-Marne et annexée par Champlitte. Si Bernard de Hautecloque ne se présentait pas comme agrégé de géographie, on n’aurait pas relevé tout cela, qui n’entache pas les qualités de fond de l’ouvrage. D’ailleurs les recherches historiques l’auteur sont faites de façon très rigoureuse et dans un précédent ouvrage il nous avait révélé que Mécislas Charrier fut le dernier anarchiste guillotiné en France, ceci le 3 août 1922 dans la cour de la prison de la Santé.

La chronique criminelle a toujours été très riche et continue à l’être, j’y suis particulièrement sensible pour la partie belfortaine. Ainsi en janvier 2014 un homme a tué sa femme, son psychiatre (pas très psychologue par rapport à son état, il lui avait refusé un rendez-vous) et un ami d’enfance (qui n’était pourtant pas l’amant de sa femme). En 2010 un adolescent, originaire de Belfort a été retrouvé mort les mains attachées dans le dos dans un local désaffecté près du château. En 2000, un jeune de 15 ans larde de plusieurs dizaines de coups de couteau ses deux parents dans leur pavillon de Lebetain.

Dans un passé plus lointain Pierre Miquel a anonymé le destin tragique d’un officier assassiné par un subalterne pour une histoire de femme dans "La Lionne de Belfort", c’est un très beau roman historique et après avoir épluché justement "L’Alsace" et "La Frontière", vu sa dimension militaire, il n’a pas été possible de trouver le nom des véritables acteurs que l’auteur avait vu aux archives militaires de Vincennes. Par ailleurs plus loin que ne traite le livre l’ensemble du Sundgau, de la principauté de Montbéliard et de la Franche-Comté a subi des violences extrêmes durant la Guerre de Trente ans.

On a quelques cas où le criminel termine au bagne et on aurait aimé que l’auteur fasse le déplacement à Aix-en-Provence pour pouvoir nous en dire plus, ainsi en est-il avec ce François Charpiot natif de Petit-Croix non loin de Belfort, assassin d’une jeune femme à coup de serpe près d’Héricourt en 1883.

On est généralement dans cette dichotomie campagne/ville avec par exemple le meurtre campagnard pour les questions de terre (canton de Luxeuil) et le patron dont le contremaître se venge par ce qu’il l’a renvoyé pour avoir exercé un droit de cuissage à l’égard des ouvrières qui nuisait à la production (canton de Delle).

Dans ces villages au temps de la IIIe république, la serpe semble d’ailleurs un outil assez courant car elle est tout naturellement à portée de main. Même un ouvrier italien, au chemin de fer destiné à relier Jussey en Haute-Saône à Épinal dans les Vosges, l’utilise en 1886.

Si les Italiens sont prématurément présents dans la région, de nombreux Haut-Saônois partent pour la capitale et Marie-Clémence Jobert notre ascendante native de Menoux (au nord de Vesoul) devenait mère dans la capitale dans les années du début de la Belle-Époque lorsque Anaïs et Lucie Dubois (originaires de la région de Gray) étaient déjà bien installées dans le secteur économique florissant de la galanterie. Voici que Lucie, devenue Lucile de Chevreuse, confia sa fortune au vicomte Edgar Dupleix de Cadignan, qui en 1892 tomba pour escroquerie au moment où le Scandale de Panama allait éclater. On aurait aimé en savoir un peu plus sur lui et nos propres recherches nous amènent à trouver des choses intéressantes.

Cet homme originaire du Gers, fils d’un officier aux chasseurs d’Afrique sous le Second Empire, a dès 1883 a des problèmes avec la justice pour dettes, escroquerie et grivèlerie en France et au minimum de grivèlerie en Belgique. Il est d’ailleurs à l’origine outre-quiévrain des malheurs d’un député catholique qui furent un des faits judiciaires les plus médiatisés sous le règne de Léopold II. Ceci est l’objet d’un article de Paul Aron intitulé "Du fait divers médiatique à la littérature judiciaire : l’affaire Vandersmissen" pour la revue "Médias 19" (article en ligne). Lucie recueille son autre sœur Anaïs et en fait sa domestique. Anaïs a très vraisemblablement tué Lucie pour s’emparer du reste de sa fortune toutefois, du fait de la profession de la victime, Anaïs est condamnée pour vol mais acquittée pour meurtre.

Ce choix d’une histoire jugée à Paris dans cet ouvrage pose certaines questions car, quitte à choisir une affaire relevant de la cour d’assises de la Seine mettant en scène un personnage originaire de cet ensemble, s'imposait l’affaire de 1908. C'est celle où Madame Japy (d’une famille protestante de Beaucourt) décède d’une crise cardiaque alors que son gendre Adolphe Steinheil est assassiné en présence d’une femme qui est fille de l’une et épouse de l’autre. Marguerite Steinheil, dont il s’agit, avait 10 ans plus tôt vu mourir Félix Faure dans ses bras. Certes l’affaire a été largement exposée par maints auteurs mais il fallait a minima dire dans l’introduction qu’il avait été pris l’option de ne pas parler de la "Pompe funèbre" et renvoyer au moins à l’ouvrage récent de Christiane Peugeot.

On a un récit très intéressante pour rappeler que la frontière passait au Ballon d’Alsace entre 1871 et 1914, car les braconniers Piot réglèrent son compte à un garde-chasse d’une propriété appartenant à un industriel belfortain et allèrent cacher son corps très peu de kilomètres plus loin en Alsace-Lorraine. Dans l’affaire Louis Rousset qui se traduit par une tentative de meurtre d’un juge en 1928, on trouve chez la même personne les figures à la fois d'un sous-officier qui se marie à Belfort avec successivement deux sœurs car c’est son lieu de garnison, d'un homme frappé par des troubles mentaux contractés du fait des horreurs de la guerre qu’il a vues et d'un cadre de l’entreprise qui prendra pour nom l’Alsthom, principal employeur des Belfortains sur un siècle et demi.

Pour la Haute-Saône à Frasne-le-Château est significatif au niveau national le cas d’un ancien colon d’une maison de redressement qui, quatre ans après sa sortie de l’établissement, vient commettre un crime chez des paysans qui résident non loin de celui-ci. Environ dix ans après ce meurtre, trois anciens pensionnaires de ce même établissement tentent une évasion de la prison de Vesoul, ceci peu à l’été 1939.

Un des derniers colons à y séjourner en 1939-1941 après s’en être évadé et dans le Paris de l’Occupation a trois filles sur le trottoir et rencontre Pierrot le fou (membre de la Carlingue puis de la Résistance). En 1948 il esquinte en pleine rue une de ses douze filles qui souhaite ne plus tapiner, avec 6 mois de prison il encaisse 6 ans d’interdiction de séjour dans le département de la Seine. Aussi il rejoint son frère qui tient une scierie en Haute-Saône et avec sa Dauphine Gordini il se déplace d’un bar à l’autre en Franche-Comté et Bourgogne, accumulant les conquêtes féminines. L’une d’elles le quitte et à sa recherche il va chez la mère de cette dernière. Frustré de ne pas trouver celle qu’il cherche il tire un peu partout tuant cette mère en 1967. Malgré la plaidoirie de maître Floriot, il écope de la peine de mort mais à peine élu le président Pompidou le gracie. En 1985 il est en liberté conditionnelle et ne fera plus parler de lui.

Dans l’affaire de l’assassinat de l’institutrice de Mignavillers (près de Villersexel) dans son école en décembre 1936, on est en présence d'un crime passionnel magnifiquement plaidé par maître Rucklin puisqu’il obtient l’acquittement. Nous précisons que ce dernier fut député socialiste de la circonscription de Montbéliard de 1928 à 1936. Battu lors des élections suivantes par un candidat de la famille Peugeot, il tenta sa chance de revenir au parlement fin 1936 en incitant un député socialiste de l’Allier à démissionner mais il fut largement battu par un radical hostile au Front populaire.

Le cas du meurtre du jardinier d’origine alsacienne à Belfort en 1948 peut être considéré comme un dégât collatéral de la Seconde Guerre mondiale. En effet le jardiner est un des ces malgré-nous enrôlé de force dans la Wehrmacht et l’assassin est un Marocain ayant servi dans l’armée du général Juin qui a été démobilisé à Belfort. L’avant-dernier récit rappelle que l’hiver 1955-1956 fut très froid, il serait également à ranger dans cette même catégorie car le meurtrier André aurait été traumatisé de voir à l’âge de 10 ans sa mère tchèque tuée par les Allemands. En 1952 il revient dans la région nord de la Franche-Comté car son père français réside dans le Pays de Montbéliard. En février 1956, André tue une mère devant sa fille de trois ans. André sera le dernier guillotiné franc-comtois.

Jusque à la déclaration de la guerre en 1914 aucun journal de province ne propose de photographies et on ne peut attendre que l’imagerie pourtant très présente à Montbéliard fort proche ou dans des villes un peu plus éloignées comme Épinal, Nancy et Pont-à-Mousson ne s’empare que des grosses affaires comme celle en 1869 du serial-killer avant la lettre l’Alsacien Tropmann. Après la Première Guerre mondiale les photographies sont généralement employées pour évoquer des hommes publics et d’ailleurs l’auteur présente celle d’un candidat à la députation et de l’assassin d’un de ses partisans par un homme soutenant son adversaire (circonscription de Luxeuil en 1933).

L’auteur a apporté un complément iconographique en allant prendre en photo les endroits, dans l’état actuel, où se déroulèrent les affaires. De plus il a demandé à Simone Hautecloque de nous reconstituer certaines scènes, le premier dessin propose d’ailleurs une horloge comtoise dans le décor d’une maison où a été commis un meurtre d’une veuve par son gendre. C'était en 1832 à Saint-Barthélemy, non loin de Lure une ville où est né, une petite vingtaine d’années plus tard ,Georges Colomb dit "Christophe" à qui on doit "le sapeur Camember", "le savant Cosinus", "La Famille Fenouillard" et "les lutins Plick et Plock".

À travers des récits qui couvrent environ 10 pages chacun, on trouve ou reconnaît des univers très typés. Voilà un ouvrage à mettre dans une bibliographie sur chacun de ces deux départements à une place de choix. Le contenu conviendra aussi bien à l’indigène qu’au touriste. Globalement c’est bon comme de la cancoillotte, l'ouvrage est un produit frais et onctueux qui ne glace pas le sang car l'auteur a des descriptions distanciés des crimes qu'il rapporte.