Les yeux secs
de Arnaud Cathrine

critiqué par Homo.Libris, le 23 février 2014
(Paris - 58 ans)


La note:  étoiles
Le sale espoir ...
Une ville, quelque part. Secouée par un coup d'état d'une faction fascisante. La milice circule et effectue son jeu de mort d'élimination des opposants. Cachés dans la maison familiale, deux jeunes adolescents, Odel et sa soeur Hamjha, guettent les bruits de la rue, surveillent les allées et venues des miliciens, la peur au ventre, redoutant d'être découverts. Au rez-de-chaussée de la maison, les deux cadavres de leurs parents gisent depuis plusieurs jours en plein milieu du hall d'entrée, exhalant une odeur putride de décomposition avancée.
Odel raconte. Tout. Les bruits. Les odeurs. La peur. Les massacres. Ce qu'il comprend, ce qu'il ne comprend pas. Ses espoirs, ses doutes, sa peur, sa lâcheté. Sa soeur, et sa force. Lui, il n'a même pas le courage de pleurer. Les yeux secs. Et puis aussi son évolution étonnante et rapide, en si peu de temps que dure leur claustration dans cette maison, évolution qui n'est peut-être que l'affirmation adulte de son caractère dans ces conditions extrêmes, métamorphoses d'une chrysalide qui n'était pas préparée à ce destin. Sa lente descente vers l'absurde d'abord, et son apogée tragique ensuite, quand il n'y a plus d'espoir.
Premier roman d'Arnaud Cathrin (publié à 24 ans). Net, bref, précis. Sans préambule, le lecteur est directement plongé dans l'univers d'horreur d'un état de siège. Tout de suite saisi par les tourments d'Odel. Tourments extérieurs : la guerre, la mort, la milice, qui est ami, qui est ennemi, - le voisin surveillé par la milice et qui pourrait le dénoncer pour sauver sa famille ? L'officier milicien qui entre seul dans la maison avec des vivres ? -, d'où viendra l'aide ? Et tourments intérieurs : la peur, le désarroi, le doute, est-il courageux, est-il lâche ?
La description des sentiments d'Odel, le cheminement de sa pensée, et l'évolution du drame, qui tourne en tragédie, sont particulièrement bien décrits et développés, de main de maître, en profondeur. Comme chez Ph. Besson, il y a du Jean Anouilh chez Cathrin. Quand Odel comprend qu'il n'y a plus d'espoir, ce sale espoir, alors tout est plus clair, tout est plus calme. Il sait où il va.
"Les yeux secs" est écrit dans un style incisif et dynamique, et dans un Français parfait, quasiment intemporel. La dernière page tournée, on reste muet, les yeux secs.