Les collines d'eucalyptus de Du'o'ng Thu Hu'o'ng

Les collines d'eucalyptus de Du'o'ng Thu Hu'o'ng

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Myrco, le 14 février 2014 (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 904ème position).
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L'hypothèse de l'homosexualité

Ce roman, dernier en date de Duong Thu Huong, histoire d'une descente aux enfers qui ouvrira sur une résurrection par l'amour d'un homme pour un autre, n'est autre qu'une variation de "Sanctuaire du cœur", avec lequel il forme une sorte de diptyque, sans qu'il soit besoin d'avoir lu ce dernier pour appréhender celui-ci.
On retrouve les mêmes personnages principaux et les mêmes données de départ: Thanh, jeune homme de seize ans, bien élevé, fils d'enseignants respectés Maître Thi et Maîtresse Yen, promis à un brillant avenir, mais aussi l'univers protégé de son enfance dans le grand verger aux pamplemoussiers... et le jeune Phu Vuong, le fils du poète misérable, avec lequel il s'enfuit un jour, emportant les économies de ses parents.
Contrairement au roman précédent où l'on n'apprenait que tardivement la raison de sa fugue, l'auteur nous la livre ici très tôt: Thanh découvrant son homosexualité et n'osant l'avouer à ses parents, n'aura pas trouvé d'autre issue.
En réalité, le drame de la fugue jamais élucidée d'un adolescent, à la fin des années 80, DTH y a été mêlée a posteriori dans sa propre famille, et elle porte depuis en elle le fardeau de l'insuccès de ses recherches.
Alors que "Sanctuaire du cœur" explorait l'hypothèse de la prostitution, "Les collines d'eucalyptus" explore celle de l'homosexualité; ce ne sont là que deux alternatives, à son sens les plus crédibles, à partir desquelles elle aura laissé voguer son imagination, même si dans son épilogue, elle laisse aux lecteurs la liberté d'en imaginer d'autres.

Lorsque le roman s'ouvre, Thanh a environ vingt ans et purge dans un pénitencier une lourde peine: il a été condamné à vingt-cinq ans de travaux forcés. Cette plongée dans l'univers carcéral du Vietnam des années fin 1980 -début 90 qui alterne tout au long du livre avec la relation du parcours qui l'a mené jusque là, constitue pour moi - du moins dans sa première phase - le volet le plus fort et le plus réussi de l'ouvrage. L'atmosphère, les conditions de détention, les relations hiérarchisées entre détenus, sadiques ou protectrices y sont remarquablement décrites et certains passages frappent l'imagination: l'épisode des crevettes, l'évocation de la figure touchante de Cu Yen ou la scène du brouillard dans la forêt, parmi d'autres.
C'est aussi dans ce contexte que nous est contée l'histoire de Lan condamnée au peloton d'exécution: comme souvent chez DTH, on n'échappe pas aux vagabondages dans les sentiers latéraux de l'intrigue principale (d'où la longueur de ses derniers romans).J'ai beaucoup apprécié cette digression, dénonciation des ravages que peuvent entraîner certaines dérives de la relation parent/enfant.

Pour en revenir au parcours de Thanh entre sa fugue et sa condamnation, celui-ci se retrouvera "piégé dans une voie à sens unique " (comme Lan, comme Tîen Lai, son second amant, par l'érotomanie de Bich Dao), cette relation sulfureuse avec Phu Vuong, un être malfaisant et manipulateur qui se servira de l'homosexualité du jeune homme pour vivre à ses crochets. La suite, je vous la laisse découvrir...
Ce thème de l'homosexualité, DTH le traite sous ses multiples aspects, avec beaucoup de compréhension et de compassion pour son personnage. La phase d'addiction au sexe, au début de la relation de Thanh avec son premier amant, n'est pas éludée mais l'auteur ne s'attarde pas sur les détails et les amateurs de scènes hard n'y trouveront guère leur compte; DTH se révèle beaucoup plus à l'aise lorsqu'elle veut exprimer la force jaillissante du désir et l'explosion de la sensualité (la scène avec Cuong).Mais ce qu'elle met peut-être le mieux en évidence, c'est la composante affective, le versant de la souffrance amoureuse qui se heurte au rejet, ce besoin d'aimer et d'être aimé de tout un chacun, d'autant plus difficile à combler qu'il ne peut trouver l'autre qu'au sein d'une minorité stigmatisée par une société rejetant la différence et poussant à porter un masque.

L'auteure n'évite pas pour autant certains clichés concernant l'homosexualité masculine (l'attachement presque pathologique à la mère, le choix du milieu professionnel), ni un certain manichéisme parfois (l'ange Thanh et le démon Phu Vuong ) voire certaine incohérence (comment ce dernier peut-il se révéler aussi veule alors que c'est sa sensibilité artistique qui avait subjugué Thanh ?).Quant à la fin peu crédible (mais on comprend que DTH ait eu envie de donner corps à une telle éventualité), elle déprécie un peu le roman, à mon sens.

Ceci dit, avec ces atouts (nombreux) et ces faiblesses, son talent de conteuse indéniable, son écriture fluide et luxuriante de laquelle peuvent surgir poésie ou verdeur (la scène de l'altercation entre Madame Van la bouchère et le haut fonctionnaire est impayable !), l'auteure nous fait une fois de plus le cadeau d'un beau moment de lecture.
Evidemment, en fonction de sa propre sensibilité, selon que l'on appréhende ce roman pour lui-même ou qu'on le resitue dans le contexte général de l'œuvre, on l'appréciera différemment. Pour ma part, ma préférence ira toujours, je pense, à sa veine d'inspiration précédente plus orientée sur la dénonciation virulente du régime et du poids des traditions où s'exprime toute la vitalité de son esprit rebelle et incisif, même si subsistent ici encore quelques remarques souvent teintées d'humour sur le contexte vietnamien.

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Drames humains au Vietnam

9 étoiles

Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 44 ans) - 19 août 2015

Le neveu de Duong Thu Huong a disparu sans raison. Dès lors elle s’est appliquée, dans deux romans dont celui-ci, à établir des hypothèses pour expliquer son absence. La sexualité du jeune homme semble être le point de départ des deux histoires. Dans « Les collines d’Eucalyptus », Thanh va partir de lui-même pour échapper à sa famille et ses préjugés. Tout le roman nous narre les pérégrinations de ce jeune homme tourmenté par sa nature et qui ne va pas toujours faire les bons choix.

Lorsque j’ai découvert ce gros livre de presque 900 pages, je ne vous cache pas que j’ai eu un peu peur. Mais l’auteur(e) m’a très vite rassuré. Avec une belle écriture empreinte d’une certaine poésie, elle a rapidement étalé ses talents de conteuse. Utilisant le jeu du passé et du présent, j’ai découvert à travers le parcours de Thanh, une quantité d’individus tous plus attachants les uns que les autres. Chaque contact avec un nouveau protagoniste est un alibi pour nous narrer le drame qui le caractérise. J’ai donc assisté à un florilège d’histoires personnelles qui forment dans son ensemble un tableau du Vietnam et de sa culture.

J’ai vraiment pris énormément de plaisir durant ce pavé, car Duong Thu Huong sait raconter des histoires et sait créer des personnages approfondis. Je pourrais juste lui reprocher son angélisme sur le dénouement, mais ça représente probablement une forme d’espoir pour elle. Elle m’a transporté dans son pays, elle m’a fait découvrir des tragédies, elle a touché mon humanité, elle m’a ému et elle m’a révolté. Cela méritait bien 900 pages.

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