Malgré moi
de Joseph Isler

critiqué par JulesRomans, le 4 février 2014
(Nantes - 65 ans)


La note:  étoiles
"Malgré moi" oblige parfois le lecteur (malgré lui) à un parcours du combattant pour saisir sa substantifique moelle
Voici un témoignage d’un des derniers Malgré-nous. La situation des Alsaciens-Lorrains entre 1940 et 1945 est un point capital à porter au bilan désastreux de la collaboration menée par Pétain et Laval et cette question est bien trop mal connue par les "Français de l’intérieur" (c’est ainsi que les Alsaciens désignent les gens qui habitent dans la partie de l’hexagone qui n’est pas l’Alsace-Lorraine).

Certes la défaite de 1940 épargna aux soldats français captifs, habitants de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui appartenaient à des familles présentes en Alsace-Lorraine avant 1918, un séjour de plus de quatre ans dans les camps de prisonniers en Allemagne. Toutefois les joies du foyer retrouvé durèrent peu.

En effet avec l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS qui suivit d’un an la défaite française (l’Opération Barbarossa commença le 22 juin 1941), c’est l’ensemble des hommes des trois départements en question qui allaient devoir servir dans l’armée allemande. Ceci alors qu’aucun traité de paix n’avait été signé entre la France et l’Allemagne ; en droit international ces individus étaient toujours français. Plus tard des jeunes parfois âgés de 16 ans furent même appelés à renforcer les lignes.

Parmi les moins âgés, sous l’uniforme de la Wehrmacht, se trouvait Joseph Isler qui connut d’ailleurs un jeune de son village décédé à 16 ans au début 1945 sur le front russe. On aurait beaucoup aimé connaître son nom.

Là, comme ailleurs, ce livre fait l’impasse sur des informations historiques qui font qu’il figurera en queue avec réserve, voire même ne sera pas mentionné dans une liste d’ouvrages sur la question des Alsaciens-Lorrains dans l’armée allemande et ceux des villages proches de la frontière repliés dans des villages souvent du centre-ouest de la France. Holling est à 10 km à vol d’oiseau de la frontière (et à près de 30 km au nord-est de Metz).

Il semble au regard d’une petite mention, qui aurait mérité une copieuse explication pour les lecteurs, que tous les habitants de ce village mosellan, qui ne sont pas sous les drapeaux, passent l’année scolaire dans la Vienne et en particulier pour le narrateur à Lhommaizé à trente km au sud-est de Poitiers. D’autres Mosellans découvrirent d’ailleurs le bon goût du fromage de chèvre et l’école laïque dans des communes du Loudunais (au nord-ouest de Poitiers) ou du Châtelleraudais. Le département de la Vienne compte alors 54 000 de ces Lorrains rapatriés.

Certes ce n’est pas le sujet du livre, mais lorsque le lecteur n’est pas un historien professionnel il ne comprend pas bien certains faits donnés qui auraient mérité d’être des informations au lieu de passer pour des énigmes. Saluons toutefois le fait qu’il est précisé que les autorités de Vichy, en supprimant l’aide aux réfugiés alsaciens-lorrains, incitent par là-même ces derniers à rentrer chez eux.

À la page 22 il est rappelé que les dénonciateurs de réfractaires à l’enrôlement dans la Wehrmacht touchaient une somme quasiment astronomique lorsqu’ils avaient permis l’arrestation de l’un d’entre eux et des familles de ces opposants au service dans l’armée allemande furent déportées en Silésie.

Une plaisanterie commise par le narrateur et quelques amis du même âge le 14 juillet 1943 pour montrer des sentiments pro-français le fait ficher par les autorités allemandes. De ce fait alors qu’il n’aura 18 ans que durant l’été, il est mobilisé le 16 mars 1944 ; d’après nous il l’aurait été vraisemblablement trois mois plus tard (mais une note d’un historien nous en aurait dit plus). La suite de sa vie comme soldat allemand est à découvrir. Son statut d’originaire de la Moselle lui permet heureusement de revenir en juin 1945 en Lorraine ; il n’aura connu qu’un mois le camp de prisonnier.

Ce témoignage relevait une dimension collective pour l’ensemble de la guerre : période de refuge dans le Poitou, vie villageoise durant de nombreux mois à l’époque de l’annexion illégale et service dans la Wehrmacht. Or le contenu reste à un niveau de témoignage individuel. Le manque de perspective globale se fait sentir ; l’auraient donnée une préface ou quelques notes de bas de page d’un historien, pas obligatoirement universitaire. Elles font cruellement défaut pour que ce livre séduise d’autres que des historiens professionnels ou des natifs des trois départements annexés, voire même que de la Moselle car sur l’essentiel du sujet les témoignages très intéressement présentés d’Alsaciens ne manquent pas.