Léo Ferré
de Stan Cuesta

critiqué par Kinbote, le 16 juillet 2003
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Salut Léo!
Dix ans déjà que Léo nous a quittés, nous laissant inconsolés et, aujourd’hui encore, amers au souvenir de tous les jugements méprisants qu’on a portés sur ses tentatives de porter à la connaissance d'un vaste public et la musique classique et la poésie.
Aujourd'hui, il apparaît comme aussi (sinon plus) musicien que poète.
Dès l’âge de 5 ans, Léo dirige des orchestres imaginaires. Vers dix ans, c'est le choc à l'écoute de la musique de Beethoven. Il dirigera (tout en chantant) de véritables orchestres (dont celui de la RAI, rebaptisé orchestre symphonique de Milan, et celui de la RTBF) mais toujours en porte-à-faux de la critique et des tenants du monde musical en place. Toujours en marge, Léo, même des mouvements ultra gauchistes qui lui reprocheront de faire du fric avec ses idées alors qu’il fut celui qui porta à la connaissance du plus grand nombre le drapeau noir de l'anarchie, mot qu’il découvrit par sa définition du dictionnaire (« Négation de toute autorité d'où qu'elle vienne ») et qu’il redéfinira comme suit : « L'anarchie est une formulation politique du désespoir ».

Ce vade-mecum nous montre que Ferré charriait dès avant 68 toutes les idées qui feront les beaux jours du mois de mai. On l’a entendu dire qu’il n'utilisait pas dans ses chansons les mot « Biafra » ou « Vietnam » parce qu'il n'y était jamais allé: belle leçon de rigueur morale.
Stan Cuesta nous raconte le dramatique épisode de la tuerie de ses animaux, et de sa chère, et devenue célèbre guenon, Pépée, après 18 ans de « collage administratif » avec une femme qui ne voulait pas qu’il chante « Les Anarchistes » et qui, même après leur séparation, ira le gifler sur scène après l’avoir entendu chanter « Le chien » mais qui a beaucoup fait pour sa notoriété en l'épaulant et en travaillant avec lui sur plusieurs réalisations.
On y apprend que le succès d'« Avec le temps », chanson écrite en deux heures, lui déplaisait et qu’il massacrait volontiers la chanson sur scène… On nous rapporte aussi ses démêlés avec ses producteurs et avec « Monsieur Barclay » qui fut bien des fois son premier censeur. Au milieu des années 70, Ferré deviendra son propre producteur et éditera même quelques livres à compte d'auteur sur sa machine off-set. La maison a été reprise depuis sa mort par son fils Mathieu dont la bobine apparaît sur quelques pochettes de disque du paternel. Il donne une interview à Cuesta dans laquelle il dit tout le bien qu'il pense de son père en tant qu'homme et créateur. Un livre, de l'aveu même de l’auteur, pour ceux qui ne connaissent pas bien Ferré, mais qui replace parfaitement chaque disque dans son contexte.
Il y a bien sûr la bio de référence sur Ferré qui ressort chez Actes Sud (« Une vie d'artiste » de Robert Belleret) mais dont Cuesta nous dit qu’elle est pauvre en renseignements sur la période d'après 75 et l'œuvre polymorphe qu'il mena à partir de son installation en Toscane. A signaler un livre récent paru aux éditons « La Mémoire et la mer », dirigée donc par Mathieu, de l'ami et peintre carolo Charles Szymkowicz : « Léo à Charleroi ».

Pour terminer, quelques vers de ce splendide texte qui a donné son nom aux « Editions Ferré » et qui fut écrit sur une île de Bretagne achetée par Léo en 59.

La marée je l'ai dans le coeur
Qui me remonte comme un signe Je meurs de ma petite soeur
De mon enfant et de mon cygne
Un bateau ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années-lumière et j'en laisse
Je suis le fantôme Jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baisers
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts du sable de la terre
Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
O l'Ange des plaisirs perdus
O rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude

Et un site superbe consacré aux textes de Ferré remarquablement illustrés: http://perso.wanadoo.fr/scl/sommairegen.htm