Psychologie et pédagogie
de Jean Piaget

critiqué par Elya, le 6 janvier 2014
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
L'art, mais surtout la science de l'enseignement
Je crois qu’on a tous notre petite idée sur la manière dont il est bon d’enseigner aux enfants. On essaie de se rappeler les professeurs qui nous ont marqué, les matières que l’on a détesté, en attribuant ce dégoût plutôt à la façon dont elle est enseignée qu’à la matière elle-même, et on en dégage des caractéristiques de l’enseignant et de l’enseignement idéaux. On prend l’avis d’autres personnes, on a l’impression d’y voir des points communs, mais bien sûr aussi des éléments de discordance.
Avoir sa petite idée, ce n’est pas être proche de la réalité, malheureusement, alors, on se réfère aux programmes nationaux, garants peut-être de plus de recul, d’objectivité, du haut de leur autorité. Mais là aussi, en 1935 et 1965 (dates d’écritures de ces deux textes de Jean Piaget) comme aujourd’hui, il y a des failles dans ces recommandations concernant l’enseignement scolaire. Jean Piaget les met en évidence et tente d’en dégager des causes. Comme à son habitude, l’auteur ne se contente pas de dresser un tableau pessimiste et propose des alternatives. Il réalise une synthèse de l’état actuel du système éducatif, en insistant particulièrement sur les méthodes d’enseignement et la façon dont elles sont élaborées. Il n’oublie pas d’évoquer différentes personnes contemporaines et passées qui se sont aussi prêtées à cet exercice, et particulièrement Rousseau, Claparède, Montessori ou encore Dewey.

La plus grande critique faite aux méthodes d’enseignement est leur manque de scientificité. On se réfère énormément dans ce domaine au bon sens, à l’intuition, à la tradition, à l’autorité, à l’empirisme parfois, et ce même pour établir les programmes officiels. On délaisse également la formation de l’esprit expérimental, alors que notre civilisation repose dessus. Il est indispensable que les méthodes et les discours de ce domaine s’appuient de plus en plus sur des faits contrôlés, et les moyens doivent être mis dans ce sens. Jean Piaget a ses explications concernant ces lacunes, non inhérentes uniquement à la complexité de la matière.
Il est optimiste quand aux possibilités de mettre en place des études sur l’efficacité des méthodes d’enseignement de manière comparative. Déjà dans les années 60, des travaux menés essentiellement en psychologie donnaient des pistes sur lesquelles appuyer des méthodes nouvelles, les méthodes dites actives, proposant une alternative à la posture autoritaire du maître, et à la transmission orale de la connaissance. Quand bien même ces méthodes s’appuieraient sur des faits psychologiques démontrés, elles doivent tout de même être soumises à l’expérimentation, ce qui n’était pas encore fréquemment le cas à l’époque de Piaget (l’est-ce aujourd’hui ? j’en doute, mais je ne me suis pas encore penchée dessus). Il est aussi important de se questionner de manière objective sur les buts de l’éducation et ce que l’on veut favoriser. Sur ce point, Piaget se positionne clairement et propose de favoriser les facultés d’initiatives, d’invention plutôt que l’accumulation d’un savoir accessible dans les livres.

Piaget en profitera pour rappeler les travaux récents menés sur l’intelligence, qui ne doit plus être considérée « soit comme une faculté donnée une fois pour toutes, et susceptible de connaître le réel, soit comme un système d’association mécaniquement acquises sous la contrainte des choses », mais comme une façon d’organiser le réel en acte et en pensée, sans uniquement le copier, un acte opératoire. Son développement dépend de la maturation du système nerveux qui « ouvre des possibilités », pouvant être utilisées ou accélérées par l’éducation, mais qui n’en dérive pas.

Je ne peux m’empêcher de citer ce long extrait dont le contenu me paraît toujours d’actualité, étant donné la place que prennent de plus en plus les écrans, y compris à l’école. Dans ce passage, Jean Piaget parle des méthodes éducatives dites intuitives, celles qui s’appuient sur des supports audios et vidéos. Il leur reproche de ne pas permettre aux structures opératoires qui permettent de connaître le réel de pouvoir bien opérer, et il me semble que les travaux actuels en neurosciences vont toujours dans ce sens.
« Du même coup, une pédagogie fondée que l’image, même enrichie par le dynamisme apparent du film, demeure inadéquate à la formation du constructivisme opératoire, car l’intelligence ne se réduit pas aux images d’un film : elle est bien plutôt comparable au moteur qui assure le déroulement des images et surtout aux mécanismes cybernétiques qui assureraient un tel déroulement grâce à une logique interne et à des processus autorégulateurs et auto-correcteurs. En bref, l’image, le film, les procédés audio-visuels, dont toute pédagogie voulant se donner l’illusion d’être moderne nous rebat aujourd’hui les oreilles, sont des auxiliaires précieux à titre d’adjuvant ou de béquilles spirituelles, et il est évident qu’ils sont en net progrès par rapport à un enseignement purement verbal. Mais il existe un verbalisme de l’image comme un verbalisme du mot, et, confrontées avec les méthodes actives, les méthodes intuitives ne font que substituer, lorsqu’elles oublient le primat irréductible de l’activité spontanée et de la recherche personnelle ou autonome du vrai, ce verbalisme plus élégant et plus raffiné au verbalisme traditionnel. »

Ces textes de Jean Piaget, bien que parus il y a presque un demi-siècle, me semblent extrêmement pertinents pour faire le point sur ce qu’est ou pourrait être la pédagogie en tant que sciences, et pour pouvoir mieux évaluer la validité et le sérieux des différentes méthodes d’enseignement.