La Sonate à Kreutzer / Le Diable / Le Bonheur conjugal
de Léon Tolstoï

critiqué par Henri Cachia, le 7 septembre 2018
(LILLE - 62 ans)


La note:  étoiles
La sexualité vue par TolstoÎ...
« Le Bonheur conjugal »... ou le glissement progressif du désir.

C'est Macha qui est la narratrice dans ce roman. Une adolescente de 17 ans, qui découvre les premiers émois violents du désir amoureux.

Un ami de son père, très proche, Serge Mickaïlytch, qui à 36 ans est considéré à l'époque comme un homme particulièrement mûr, disons entre deux âges; tout d'abord, elle l'aime comme un très bon ami, pour progressivement se transformer en un véritable désir amoureux. Une excitation telle lorsqu’elle l'attend après quelques absences dues à son travail, s'empare de notre Macha, qu'elle nous dévoile par des descriptions fiévreuses, et des dialogues avec Serge.

Puis après le mariage, et un passage dans le monde, où quelques jalousies viennent perturber ce bonheur conjugal, graduellement, elle constate avec regret que la violence des émois de jeunesse disparaît pour laisser place à autre chose...

Le constat de ce roman semble être une belle leçon de vie. Il se finit comme suit :
... « … A dater de ce jour, prit fin mon roman avec mon mari ; l'ancien sentiment devint un souvenir précieux, perdu à jamais, et un nouveau sentiment d'amour pour mes enfants et pour le père de mes enfants posa les bases d'une nouvelle vie heureuse, mais cette fois d'une tout autre façon, que je n'ai pas encore achevé de vivre à la minute présente... ».


« La sonate à Kreutzer »... ou les démons de la jalousie.

Rencontré dans un train, Pozdnychev commence à raconter ( confesser...) à un interlocuteur attentif, ce qui l'a amené à tuer sa femme. Il passera onze mois en prison avant son procès et finalement son acquittement.

Ce que Tolstoï prône dans sa vie, que ce soit la lutte contre les Eglises ou la continence, ne m'intéresse en rien lorsque je lis sa littérature. Bien souvent ce sont les excès de certains artistes qui nous amène par leur production à une réflexion bien plus profonde...

Cette parenthèse fermée, notre personnage principal passe par bien des états contradictoires, qui nous révèlent les difficultés contre ses démons, avec lesquels il se débat, qu'ils soient moraux, sociaux, éducatifs, ou sexuels. Et le centre de ses démonstrations est la sexualité, par laquelle vient le mal, nous dit-il . Il semble aimer sa femme, mais lui prête des intentions adultérines, dont on ne saura pas si elles sont réelles ou fantasmées par notre héros malheureux.

Tout cela avec le talent et le style si singulier de Tolstoï :
... « ...Ainsi vivions-nous, dans un brouillard perpétuel, sans voir la position dans laquelle nous nous trouvions. Si ce qui est arrivé n'était pas arrivé, et si j'avais continué à vivre ainsi jusqu'à ma vieillesse, j'aurais pensé encore en mourant que j'avais mené une bonne vie, pas particulièrement bonne, mais pas mauvaise non plus, celle de tout le monde ; je n'aurais pas compris l'abîme de malheur et l'odieux mensonge dans lequel je me débattais... »...


Encore autre chose avec « Le Diable » :

Eugène Ivanovitch ou Irténiev (décidément j'ai toujours autant de mal à comprendre ces changements de noms concernant un même personnage russe) s'est épris d'une jeune paysanne qu'on nomme Stépanida, qu'il rencontrera par l'intermédiaire de son intendant.
Comme les personnages principaux du « bonheur conjugal » et de « la sonate à Kreutzer » c'est un noble possédant un vaste domaine auquel se rattachent de nombreux paysans et paysannes.
Après plusieurs rendez-vous clandestins, la sensualité de celle-ci envahit littéralement le corps de notre héros.

Puis le temps passe, il se marie, et croit avoir oublié sa jeune maîtresse. Il aime sa femme et tout semble être rentré dans l'ordre.

Mais la vie ne semble pas l'entendre ainsi. Un jour, il croise - par hasard ? - Stépanida, et le voilà repossédé violemment par le souvenir de ces rencontres sexuelles, qui, si avant son mariage lui apparaissaient légitimes, s'imposent à lui maintenant comme coupables.

Rongé par la dictature de la libido, il passe en revue toutes les solutions possibles et imaginables pour sortir de cet enfer.
Il retient tout d'abord deux possibilités :
la première consiste à tuer cette paysanne sensuelle, afin de vivre en paix avec sa femme.
La deuxième serait de tuer sa femme pour partir vivre avec « le diable » sous les traits de Stépanida et les démons de la chair.

Déchiré devant ces deux extrêmités, jugées insatisfaisantes, il finira par se suicider...

... « ...il entrait dans la forêt, alors qu'elle en sortait avec deux femmes, un sac plein d'herbes sur le dos. S'il était venu un peu plus tôt il l'aurait rencontrée dans la forêt. Maintenant, elle ne pouvait évidemment quitter ses compagnes pour venir le retrouver. Il se rendait compte de cette impossibilité et néanmoins, au risque d'attirer l'attention des autres femmes, il attendit sous le noisetier... »...


Riche idée que d'avoir réunis ces trois romans dans un même livre.