Génitrix
de François Mauriac

critiqué par Nothingman, le 2 juillet 2003
(Marche-en- Famenne - 44 ans)


La note:  étoiles
Une sourde violence
Fernand Cazenave, la cinquantaine est marié à Mathilde, une petite institutrice de province. Ils vivent dans le Sud-ouest avec la mère de Fernand, l'austère Félicité. Elle et Mathilde ne peuvent pas se supporter et se vouent une haine féroce, la belle-mère ne supportant plus la perte d'emprise sur son fils bien-aimé. Mais voilà, après une fausse-couche, Mathilde meurt, seule, abandonnée dans cette maison où tous semblent la négliger et la considérer comme un fardeau. Une fois la défunte enterrée, Fernand va réaliser tout ce qu'il a perdu comme temps, comme amour. Qui peut être responsable de ce gâchis sinon cette mère ultra-possessive et autoritaire? C'est alors le temps de la rébellion, de la révolte. Le pauvre Fernand va se réfugier dans le souvenir de la défunte Mathilde et vivre par procuration cet amour trop tôt avorté. Félicité, qui croyait avoir partie gagnée, va comprendre alors qu'elle est en train de perdre son fils, la chair de sa chair, au profit de ce fantôme, sa pire ennemie. Mais un fils peut-il rejeter sa mère à tout jamais?
Ce roman est d'une rare violence, mais une violence sourde, insidieuse. Il fait malsain dans cette maison du Sud-ouest où cet homme et sa mère se livrent à un huis-clos des plus étouffant. Une mère possessive au dernier degré qui refuse de voir son fils prendre la moindre indépendance. Fernand à la vie étouffée, à la vie fracassée par cette mère omniprésente. Avec "Vipère au poing" de Hervé Bazin, c'est l'un des romans où l'on voit à l'oeuvre l'une des pires mères qui soit. Autant la Folcoche de Bazin semble être née pour vouloir le mal, autant celle-ci joue de plus de subtilités, de plus de manigances. Elle en est d'autant plus cruelle. Et ce personnage de Fernand m'a un peu dérangé, lui qui à cinquante ans passé, est versatile, influençable, complaisant, ne sachant jamais ce qu'il veut vraiment. C'est d'ailleurs une fois Mathilde morte qu'il commence à l'aimer et à la chérir. Mais trop tard. Il finira d'ailleurs sa vie seul, acariâtre comme l'a été cette mère dont il n'a pas su se déprendre.
Puissant... 10 étoiles

Cette relation mère/fils étouffante et la relation ratée entre ce même fils et son épouse sont au centre de ce huis-clos saisissant. François Mauriac décrit avec une grande justesse cette mère (Félicité) qui empêche son grand enfant de 50 ans, Fernand, de grandir depuis toujours en le couvant, en en faisant sa chose, son jouet. Le roman s'ouvre sur la mort de la l'épouse de Fernand (Mathilde) qui était la rivale détestée de Félicité.
Fernand prend conscience de ce qu'il a raté et se met à vivre dans le culte de la disparue sortant ainsi, petit à petit, de l'emprise de sa mère.
La fin de cette histoire, que je ne dévoilerai pas, est poignante.
La grande force de Mauriac est d'arriver à nous faire comprendre chacun des personnages (dont aucun n'est totalement innocent ou coupable). Félicité, la Genitrix, est bien sûr la plus coupable du trio mais elle a aussi des excuses et des côtés touchants. Ceux qui paraissent clairement les victimes (Fernand et Mathilde) ont aussi leurs côtés sombres. Tout ce roman est en clair obscur (au sens propre comme au sens figuré), comme l'atmosphère qui règne dans cette maison (notamment lors des nombreuses scènes vespérales ou nocturnes). Mauriac déploie, une fois de plus, son style concis, puissant et poétique.
Un grand roman noir à lire absolument pour la densité de ses personnages et pour sa poésie.

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 2 septembre 2013


Un univers étouffant 6 étoiles

Ce huis clos d'une grande vérité et d'un franc réalisme est étouffant. C'est à cinquante ans que Fernand Cazenave se marie à la plus grande surprise de sa mère possessive Félicité Cazenave avec laquelle il vit. Dès le début du roman, la pauvre épouse Mathilde meurt des suites d'une fausse couche, loin dans la maison, isolée, ignorée, peu aimée. Cette mort a un effet déclencheur et Fernand ne voit plus sa mère du même oeil, ni Mathilde d'ailleurs, plus attachante depuis qu'elle est morte ...

Ce roman est étouffant, comme l'est cette mère castratrice et envahissante. Fernand a vécu sous l'emprise de Félicité qui est écrasante par son amour démesuré. Le roman est sans nul doute réussi, mais tellement réussi qu'il en devient aussi assez angoissant. Je ne me remets absolument pas en cause le talent de l'écrivain, mais j'ai tendance à quitter ces textes avec une grande joie pour fuir cette angoisse et ce sentiment d'étouffement qu'il communique à la perfection. C'est sans doute la force de cet auteur.

Le style est simple, Mauriac va à l'essentiel. Cette relation fusionnelle mère-fils est observée à la loupe et permet à l'auteur d'exprimer toute la violence ressentie par ces personnages.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 28 novembre 2012


Le ver dans le fruit 8 étoiles

Fernand a été élevé par une mère protectrice et possessive à l’extrême. A cinquante ans, il s’est marié mais, peu accoutumé à considérer autre chose que sa petite personne, il ne lui faut que quelques jours pour regagner le giron de maman. Et voilà le couple filial reconstruit et la jeune épousée mourante après une fausse couche, seule dans une autre aile de la maison. La mort débarrasse enfin la famille de l’intruse, mais Fernand prend peu à peu conscience de son état, de sa captivité consentie et de son amour naissant pour sa femme défunte. Se déroule alors la mue du garçon en homme et la déchéance de la mère. Un huis-clos dans une grande maison presque vide d’âmes, comme dans Thérèse Desqueyroux.

La femme et l’éducation occupent, ici encore, des places primordiales. Mais deux femmes bien différentes : la matriarche toute puissante et la jeune femme soumise. Les rôles évoluent à mesure que le fils fait son deuil et se défait de l’emprise de sa mère. Un deuil égoïste, celui de sa vie confortable, une étape d’autant plus difficile qu’elle est tardive…

Que dire de ce récit très sombre ? Qu’il est très bien écrit, très bien mené. La joute entre la mère et le fils est intéressante, la mutation qui s’opère en eux douloureuse. Mais on n’a pas pitié de ces deux là, ces égoïstes qui n’ont vécu que pour eux-mêmes : le fils, cet enfant gâté, ce grand bébé détestable ; la mère, possessive, revêche, impitoyable et guère plus aimable. Un récit psychologique crédible et rondement bien mené.

Antinea - anefera@laposte.net - 45 ans - 6 mars 2011


Génitrix, ou le complexe d'Oedipe inversé... 10 étoiles

Je vais finir par broyer du noir toute ma vie moi, à force de lire des Mauriac (c: ...
Quand on lit un mauriac, on éprouve les mêmes sensations que quand on voit les premiers flocons tomber en hiver ou les premières fleurs au printemps... On se sent transporté, bercé par une tendre hébétude, dans un monde parallèle, si beau et si sombre à la fois...

Pour reprendre la critique de Lucien, il est étonnant de voir que c'est cette même phrase ["Ceux sont les présents qui ont tort"] qui m'a marqué...

Je me demande bien pourquoi je suis le seul jeune que je connaisse qui aime tant les romans de Mauriac?

Le Cerveau-Lent - - 31 ans - 19 juin 2010


La prison dont on ne veut sortir 6 étoiles

Les lectures de Mauriac se suivent et se ressemblent. Rien à redire sur la force de l’écriture, sur la noirceur du propos et les drames générés par la vie de famille et particulièrement l’emprise d’une mère sur son fils, d’un milieu bourgeois terrien refermé sur lui-même et des conséquences sur ces vies en vase clos où l’on se préserve soi, l’on se préserve de tout, et de tous et où la solitude et le désespoir sont finalité.
Mais de l’impression de déjà vu, de déjà lu, se dégage une espèce d’obsession qui mérite sans doute de mieux faire connaissance avec l’homme Mauriac.
Ici, Félicité la mère, Fernand le fils, les Cazenave font dans les premières pages mourir la jeune Mathilde, morte suite à ses couches, femme jeune qui aurait aimé aimer et qui se trouve isolée par son mari et sa belle-mère, ligués contre elle, rejetée à l’autre bout de la maison.
Ce drame sera le déclencheur d’une sourde vengeance du fils contre sa mère, une mère castratrice, omniprésente, omnipotente et qui de l’amour passe à la surprotection pour finir par l’étouffement d’un homme doté de peu de caractère ou d’envie de vivre sa vie.
Infantilisé depuis toujours, la mort de sa femme est comme la perte d’un jouet, d’une distraction dont on le prive, il ne le supporte pas. Il s’invente un attachement à la défunte, modifie son comportement et entre en guerre contre sa mère, une guerre du silence, de l’éloignement, mais jamais trop.
Le destin de la mère est vite évident, on croit Fernand libéré, est-il seulement libérable ? le « Marie » qu’il prononce à la fin est la preuve qu’il est des prisons que l’on chérit.

Monito - - 51 ans - 6 novembre 2005


C’est le culte qui crée l’idole. 8 étoiles

« C’est le culte qui crée l’idole » dit Mauriac. L’idole dans ce roman ce serait Félicité, la mère toute puissante, qui asservit son fils en l’écrasant d’un amour maternel castrateur, despote à l’autel de laquelle le fils sacrifie sa jeune femme.

Ce roman pourrait s’appeler le désert de l’amour, suggère Lucien. Je dirais même que tous les Mauriac (du moins ceux que j’ai lus) pourraient s’appeler ainsi. Peut-être que l’auteur veut nous montrer que la vie sans amour c’est l’enfer ?

En effet dans ce roman il n’y a pas d’amour. Déjà parce que dans ce pays, le sud-ouest, et dans ce milieu de propriétaires terriens et viticulteurs, on ne se marie pas par amour : on cherche à perpétuer la race et à agrandir le domaine. Quant à l’amour démesuré que porte la mère à son fils Fernand, il s’agit d’un besoin de domination spirituelle. Fernand, lui, est incapable d’aimer. Il pense découvrir l’amour lorsque sa jeune femme Mathilde meurt mais il est en fait aiguillonné par un besoin de rébellion, l’amour tardif qu’il croit ressentir pour la défunte est dirigé contre sa mère. Dans le cas de la vieille servante Marie, la vénération mêlée d’effroi qu’elle éprouve pour la maîtresse de maison est un désir d’asservissement, on ne peut pas dans ce cas non plus parler d’amour.

Mais cependant, même dans ce désert de l’amour, apparaît parfois l’image d’un autre monde, comme un mirage qui donne une idée de ce que serait la vie avec l’amour. Fernand en a l’intuition au crépuscule d’une journée de pluie sur le sol habituellement aride de ce pays : « Comme il avait plu tout le jour, les arbres s’égouttaient comme dans un silence surnaturel et il n’y avait plus rien au monde que ce bruit calme des larmes. Un apaisement lui venait, un détachement, comme s’il eut pressenti au-delà de sa vie atroce, au-delà de sa propre dureté, un royaume d’amour et de silence où sa mère était une autre que celle dont il venait d’être possédé ainsi que d’une ménade, - où Mathilde tournait vers lui un visage détendu, pacifié à jamais – un sourire de bienheureuse. »

« C’est le culte qui fait l’idole ». Qui de l’idole ou de l’idolâtre est le plus à plaindre ?

Un bon Mauriac. Et c’est avec le même plaisir que je continue ma série des Mauriac !

Saule - Bruxelles - 58 ans - 21 février 2004


"Ce sont les présents qui ont tort." 9 étoiles

Les absents ont toujours tort, dit-on. Mauriac démontre ici le contraire, et avec éclat. Mathilde présente, Fernand ne la voit pas, ne la voit plus. Présente, elle n'existe pas. Il faut qu'elle meure pour peser enfin plus lourd que la "génitrix triomphante" : "Si nous regardons notre vie, il semble que nous ayons toujours été séparés de ceux que nous aimions le plus : c'est peut-être parce qu'il a toujours suffi qu'un être adoré vive à nos côtés, pour qu'il nous devienne moins cher. Ce sont les présents qui ont tort." Une fois Félicité morte à son tour, Mathilde perd son avantage : "le soleil maternel à peine éteint, le fils tournait dans le vide, terre désorbitée". Comme le souligne bien Nothingman, il ne reste à Fernand que la solitude. Ce roman aussi aurait pu s'appeler "le désert de l'amour"...

Lucien - - 68 ans - 3 juillet 2003