Frictions
de Philippe Djian

critiqué par Nothingman, le 1 juillet 2003
(Marche-en- Famenne - 44 ans)


La note:  étoiles
Entre émotions retenues et non-dits
Ce roman, c'est cinq séquences de la vie d'un homme dont le nom est constamment tu. Un peu nous tous en quelque sorte. Des bribes de vie de décennies en décennies marquées du sceau de la friction, des ennuis, des choses de la vie,.... Et notre pauvre narrateur qui, tant bien que mal, essaie de recoller les morceaux, de trouver des solutions dans un entourage qui le tourmente.
La première friction survient quand il a onze ans. Ses parents sont à priori séparés ou ne s'aiment plus très forts ce qui revient un peu au même. Le père débarque un soir, boîtant bas, avant de reprendre un avion. Ce père dont on ne sait rien si ce n'est qu'il est peut-être gangster au vu de certains indices distillés parcimonieusement çà et là. Et puis la mère qui ne supporte plus le père, la dispute immanquable et notre pauvre narrateur au milieu de ces jeux d'adultes et qui n'y comprend pas grand chose. "On est un peu con quand on a onze ans". Dix ans plus tard, le père n'est plus là mais c'est la mère qui fait maintenant des siennes. Elle passe ses soirées entourées de vieux beaux douteux à boire tant et plus. Lui est maintenant modèle
de photographies et a bien du mal à s'occuper de cette mère femme-enfant, un brin paumée. Troisième friction: Le voilà à présent marié avec Sonia, mannequin de son état, une femme superficielle et légère. Autour d'eux des personnages atomisés, émiettés, drogués. Des relations amants amantes et puis le choc. Et toujours cette mère qui rôde toujours dans les parages. Quatrième tranche de vie: Le narateur est maintenant directeur d'une petite maison d'édition qu'il tient avec sa mère (tiens, tiens). Il a une fille Lili, née de Sonia qui est morte dans une explosion dûe à une fuite de gaz. Ici, c'est le retour improbable et soudain d'un personnage qui semble être le père du narrateur. La mère tombe amoureuse comme au premier jour de ce fantôme qui fait sa réapparition. Mais comme rien n'est parfait dans ce roman, il est alcoolique au dernier degré... Et enfin dernière friction avec sa fille Lili, qui lui en fait voir avec ses conquêtes amoureuses. C'est le temps douloureux de l'adolescence et de la relation père-fille.
C'est donc l'histoire d'un homme tenaillé entre les attentes d'une mère possessive et souvent pathétique et les désirs d'une fille qui s'éveille trop rapidement à la vie. Notre narrateur , au milieu de ces flots pour le moins agîtés, tente de maintenir le navire familial à flots tout en pensant un peu à lui, à sa vie amoureuse qui n'a jamais connu véritablement le grand amour. Djian nous livre ici un concentré de vie. Il utilise élégamment les non-dits. En dehors de ces cinq séquences, nous ne savons rien de plus. A nous d'imaginer la vie de ces personnages dans leurs joies comme dans leurs misères Un très bon moment de lecture en tout les cas.
Bon … Euh ! 5 étoiles

« Frictions » serait-il indispensable ? Bon … Euh ! Pas sûr. Pour avoir adoré « Assassins », « 37°2 le matin », et quelques autres de notre ami Djian, j’avoue avoir été déçu par ce « Frictions ».
Il y a bien par touches la « patte » de cet écrivain moderne, qui aura certainement eu une influence qu’on ne mesure pas encore à sa juste valeur, ces climats délétères des hommes faibles (nous) qui voudraient …, mais sont plus vélléitaires que héros, ces ambiances des petits matins de déprime quand on n’est pas un dieu et que le jour qui s’annonce pèse déja trop lourd sur les épaules, … Il y a bien de cela mais … ça n’en fait pas, à mon sens, un grand Djian.
Imagine-t-on Gustave Courbet se mettre à faire du cubisme ? Ici Djian nous a tellement éclaté l’histoire qu’il pourrait s’agir de cinq nouvelles juxtaposées, avec simplement un thème commun, disons celui des relations troubles d’un fils faible avec sa mère possessive (c’est un peu osé comme résumé !) et les femmes, filles, en général.
Le héros (pas de nom, pas de lieu, là c’est normal Djian ne semble pas aimer situer ses romans) est examiné sous la loupe au gré de cinq chapitres correspondant à cinq époques de sa vie. On croit le connaître à la fin du premier chapitre, quand il a onze ans et qu’on assiste au déchirement du couple de ses parents. Mais ça n’est pas grave si l’on ne sait pas grand chose du père puisqu’il se fait jeter (il a semble-t-il tout fait pour ça) et que l’héroïne principale est la mère, un brin bizarre quand même et tendance possessive.
On croit le connaître, donc, mais ça se gâte quand on passe aux chapitres suivants car vous n’avez aucun fil rouge, rien qui explicitement vous confirme dans le fait qu’il s’agit du même homme onze ans plus tard, devenu mannequin pour photos, et complètement « addicted » à sa mère. Et idem pour les trois chapitres suivants. Il y a bien des faits qui font résonance avec des éléments précédents mais ténus, trop ténus. Au dernier chapitre, c’est avec sa fille, dont on découvre l’existence plutôt tirée par les cheveux, qu’il a des soucis. Pas de chance avec les femmes pourrait-on se dire à son égard.
Il est beaucoup demandé au lecteur. De beaucoup imaginer pour ajuster les morceaux, assurer les transitions. Etait-ce vraiment utile d’aller à ce point de l’éclatement du puzzle ? Je suis persuadé que Courbet n’aurait pas été bon en cubiste !

Tistou - - 67 ans - 4 novembre 2007


Les étapes de la vie 7 étoiles

Il est très intrigant (et passionnant) de se plonger ainsi dans la vie de quelqu'un, à des étapes différentes. On commence avec l'enfance et les tensions qui existent entre ses parents, on se marie, on devient père et à son tour on entre en incompréhension avec sa fille de 18 ans, bref, c'est notre vie à chacun qui pourrait se retrouvée étalée là, un livre-réalité qui interpelle et nous oblige à nous poser des questions sur notre vie et nos relations à autrui (en particulier avec sa famille). A la fin du livre, une impression de temps qui passe, très vite, une vie qui court vers le futur tout en gardant un oeil en arrière.

Lors de la campagne de présentation de l'ouvrage, Djian a expliqué : "J'ai choisi ce titre parce que la vie nous montre que, sans jamais en arriver au déchirement, les choses et les gens ont du mal à s'ajuster. Ça grince, ça gratte, mais on reste ensemble, on continue à se parler, à échanger. C'est ça le plus important."

Sahkti - Genève - 50 ans - 19 mai 2004


Je vous le conseille très vivement ! 8 étoiles

J'ai beaucoup aimé ce livre, malgré qu'au début j'ai cru à une sorte de "remake" de "L'Etranger". Or il n'en est rien ! Ici le narrateur tente bien plus de diriger sa vie. Tout simplement il se demande si c'est possible. "La vie me semblait parfois sans solutions, sans niveau à grimper, sans illuminations, et j'avais l'impression que tout se valait, que nous étions pulvérisés dans l'espace et que se battre ne servait pas à grand-chose. " Mais il le tentera quand même. La description de la terrible déchéance d'un alcoolique est fantastique. Il écrit cette phrase terrible: " Au moins, tu ne t'es pas encore pissé dessus, ajoutai-je. Enfin, pas autant que je sache." Bravo à Nottingham pour sa critique et je ne peux que dire comme lui: j'ai beaucoup aimé ce livre et je vous le conseille vivement. Il est bien écrit, le narrateur est attachant et finement décrit ainsi que les personnages plus secondaires.

Jules - Bruxelles - 79 ans - 2 août 2003