Port-Alfred Plaza
de André Girard

critiqué par Libris québécis, le 22 décembre 2013
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Une ville identifiée à l'aluminium
Port-Alfred, intégré à Ville Saguenay, s'est développé grâce à la bauxite qui entre dans la fabrication de l'aluminium. Ce minerai a amené un nombre impressionnant de marins qui ont marqué toute la population. André Girard s'attarde avec amour à ces gens à travers Étienne, un étudiant venu terminer sa thèse en muséologie dans un hôtel de cette ville industrielle et portuaire.

La donne change quand il découvre huit cassettes enregistrées par un autre étudiant. Intéressé par ce qu'il entend, il décide d'en écrire un roman. Il s'agit des propos tenus par les clients du bar du Port-Alfred Plaza, hôtel où loge le héros. Ce dernier a donc l'occasion de les rencontrer, tels que Fernand, le barbier retraité, passionné de livres, Lili, la prostituée, toujours amoureuse d'un marin brésilien, Simon, un jeune débardeur qui rêve de devenir capitaine de bateau, Jean-Claude, un chauffeur d'autobus excité par les clientes de passage, sans compter la femme de ménage, qui gère, à temps perdu, un site porno fétichiste destiné aux Japonais.

Limité au quotidien des protagonistes, le roman serait d'une banalité exaspérante. André Girard a su éviter ce piège en tissant, avec des mises en abîme réussies, le passé et le présent de ces témoins de la petite histoire de Port-Alfred. La vraie en fait parce qu'ils ont subi les impacts de son développement et de son déclin, occasionné par les progrès technologiques qui ont réduit sensiblement la nécessité de la main d'œuvre. Au lieu de créer une œuvre redondante qui caractérise les bestsellers historiques, l'auteur a tracé, avec une économie de moyens, l'image presque exhaustive d'une population amoureuse de sa ville. Les regrets de son passé glorieux ne retiennent pas ces Saguenéens d'imaginer des jours meilleurs, prêts à rompre même avec leur vécu industriel et portuaire. L'attachement au passé ne les empêche pas de rêver d'un milieu où sont conviés tous les humains de l'horizon.

Cet hommage aux résidents de Port-Alfred cèle leurs voix dans un chant polyphonique difficile à décrypter. Mais la technique magmatique une fois décodée, la lecture devient passionnante. La méthode rompt d’avec l'attachement sentimental à des héros plus grands que nature. Bref, André Girard renouvelle l'art du roman historique en le dépouillant de son caractère people pour accentuer les contrastes créés par le temps.