Matière et esprit: La physique moderne à la lumière d'une saine philosophie
de Claude Paulot

critiqué par Eric Eliès, le 16 décembre 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Thèse d'un scientifique chrétien utilisant la philosophie pour défendre la religion contre l'intrusion des concepts scientifiques
L’auteur de ce livre, qui se présente comme un physicien des particules élémentaires formé à la métaphysique, est avant tout un théologien chrétien dont le propos est de dénoncer la confusion des esprits utilisant les enseignements de la science pour remettre en cause les fondements de la religion.

L’exposé des thèses scientifiques est clair et accessible et constitue une bonne introduction aux principes élémentaires de la relativité et de la mécanique quantique. Néanmoins, ce livre n’est pas un ouvrage de vulgarisation : l’auteur cherche à démontrer que la science ne manipule que des quantités et n’a donc pas accès à l’Etre, qui est indivisible et ne peut donc être appréhendé par la science parce qu’il ne peut être quantifié. L’auteur développe alors longuement, en citant Aristote et Saint-Thomas d’Aquin, des arguments philosophiques expliquant que la forme, en tant que principe d’organisation de la matière, est indissociable de la matière qu’elle actualise dans sa substance corporelle faite d’être en acte (tout ce que la substance est dans le présent) et d’être en puissance (tout ce que la substance pourrait potentiellement être dans le présent ou le futur). Pour les êtres vivants, l’âme est l’autre nom de la forme et reste attachée à la matière ; seule celle de l’homme, qui se distingue par l’intelligence qui lui donne accès à la liberté, transcende la matière.

Par ailleurs, l’auteur s’attarde longuement sur les concepts essentiels de la physique pour dénoncer la « spéculation » de ceux qu’il appelle des charlatans intellectuels, qui emmêlent pensée scientifique et pensée religieuse. Claude Paulot souligne que le non-déterminisme de la mécanique quantique ne signifie pas l’existence d’un niveau de liberté dans la matière : les lois probabilistes restent des lois mathématiques qui décrivent le comportement de la matière. La non-matérialité des champs de la mécanique quantique, qui considère que toute particule existe à la fois sous forme d’onde et de corpuscule, ne signifie pas que l’esprit existe, même à un stade embryonnaire, dans la matière. L’immatériel du physicien, qu’il s’agisse d’une une fonction d’onde ou d’un champ d’interaction, reste matériel pour le métaphysicien pour qui l’immatériel ressort exclusivement de l’esprit, qui est l’apanage de l’homme et le lie à Dieu, qui est l’être purement spirituel.

Le chapitre le plus surprenant traite du temps et du principe de causalité. Claude Paulot explique fort justement que le temps et l’espace sont, dans leur définition même, inextricablement liés par la valeur de la vitesse de la lumière (le mètre étant officiellement défini comme la distance parcourue par la lumière en 1/299792458 ème de seconde). Le temps est lié au changement de la matière et apparaît même chez Aristote comme un accident de la matière (« le temps est le nombre du mouvement ») ; il est d'ailleurs officiellement défini par rapport à la période du rayonnement de certaines transitions entre des niveaux d’énergie des atomes. Par conséquent, il n’est pas fondamentalement différent de l’espace. Notre représentation du temps, biaisée parce que seul le présent a une existence concrète, donne une fausse idée d’irréversibilité. En réalité, c’est notre vie et non le temps qui est irréversible. L’auteur soutient même l’idée que l’effet peut précéder la cause, sous forme de cause finale qui oriente le mouvement. Dieu, étant immatériel, est hors du mouvement et donc hors du temps. Il n’y a d’éternité qu’en Dieu qui voit tout dans un éternel présent. Jésus-Christ incarne ce contact, réalisé à une date et en un lieu, entre le temps et l’éternité.

Le principal défaut de l’ouvrage (mais il est de taille) est que l’auteur n’étaye pas véritablement son argumentation. Il décrit la méthode scientifique uniquement pour en marquer les limites. Sa méthode est à charge, avec un parti pris évident de justification du dogme catholique qui n'est jamais interrogé ou remis en cause. Ce faisant, il cherche à construire, parfois subtilement parfois maladroitement, une digue autour du dogme chrétien (dont la vérité est absolue parce que révélée par Dieu – ce qui montre le caractère tautologique de cette affirmation) pour le protéger de l’intrusion des concepts scientifiques.