Cunégonde en Carlaland ou Sur l'innocence
de Venko Andonovski

critiqué par Pucksimberg, le 7 décembre 2013
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
"Candide" de Voltaire revisité par un dramaturge macédonien
L'on retrouve dans cette pièce de théâtre les principaux personnages du conte de Voltaire, Candide, Cunégonde, Pangloss et même certains lieux comme l'Eldorado. Sauf qu'ici, l'Eldorado ne se trouve pas en Amérique du Sud, mais en Europe ! Cette Europe qui refuse la Macédoine, ce continent qui promet, mais ne cesse de repousser les attentes du pays du dramaturge. Comme cela est souligné dans les notes de l'édition, la Macédoine semble devoir se réinventer, oublier son passé, changer son nom par respect pour la Grèce, tout ceci, pour être vierge et être acceptée.

Cunégonde se rend en Carlaland, elle qui est promise à Candide, plus niais que naïf dans cette pièce de théâtre. Elle découvre la logique européenne et la situation inextricable de la Macédoine. On y parle de justice, d'identité, de génocide, de sexualité aussi. La Carla dont il est question est Carla Del Ponte, cette magistrate qui poursuit l’accusation contre les auteurs présumés des crimes contre l’humanité. Toute la réflexion de Venko Andonovski passe par des allusions au corps de ses personnages. On y parle de la position de la matrice de Cunégonde, de sa virginité qu'elle doit retrouver ( un peu comme la Macédoine ... ), des activités sexuelles solitaires de Candide, des difficultés du même personnage à uriner dans des toilettes dont le fonctionnement lui semble bien compliqué ... L'on pourrait rester à ce niveau de lecture où le corps est mis en avant et fait sourire par les situations burlesques farcesques auxquelles sont mêlés les personnages. Certaines injures et certaines circonstances rappellent des pièces contemporaines comme "Le Père noël est une ordure", mais la symbolique est plus grave et plus politique. Chaque scène porte un titre comme ceux de l'apologue de Voltaire, titre suffisamment explicite pour connaître le contenu de la scène.

Les Macédoniens sont fous, les Européens aussi. C'est un monde de déraison, c'est pour cette raison que Michel Foucault intervient dans cette pièce en ouverture et en clôture. Cette pièce fait rire. Les rebondissements sont parfois gros, mais à l'image de ceux des contes. Le dialogue sur la Macédoine et l'Ecosse est excellent. Venko Andonovski ose et va loin : Cunégonde est surprise dans un film érotique, consulte un gynécologue et Candide est accusé de génocide parce qu'il se masturbe :
"Donc, monsieur se masturbait pendant que j'essayais, les yeux fermés, de deviner son avenir. Pourquoi ? Je vous dirai pourquoi, messieurs ! Parce qu'il est un meurtrier de masse ! Dans une de ses éjaculations il y a exactement 300 000 enfants potentiels ! Si l'avortement est un meurtre, alors la masturbation, messieurs, est un génocide !"

Une pièce décapante qui brusque par sa franchise et qui nous invite à rire de la folie humaine.