Oeil-de-chat
de Margaret Atwood

critiqué par Sentinelle, le 5 décembre 2013
(Bruxelles - 54 ans)


La note:  étoiles
Les tragédies silencieuses
En lisant ce roman, j’avais l’impression d’écouter attentivement une amie qui revenait sur sa vie de femme, ses considérations sur le couple, l’amitié, la vieillesse, la famille mais qui se racontait avant tout par son enfance. Une enfance marquée à jamais par des amitiés particulières entre petites filles qui relevaient plus de la manipulation et du harcèlement moral que d’amusements innocents. Lorsque des tragédies silencieuses se nouent à l'abri du regard des adultes par peur d'incompréhension.

« Je songe à tout dire à mon frère, à lui demander de l'aide. Mais lui dire quoi exactement ? Je n'ai ni œil au beurre noir, ni nez qui saigne : Cordélia ne fait rien de physique. S'il s'agissait de garçons qui poursuivent, agacent, il saurait quoi faire, mais les garçons ne me harcèlent pas de cette façon. Contre les filles et leurs façons détournées, leurs chuchotements, il serait impuissant. »


Ce récit m'a d’ailleurs fait penser à un autre de ses romans, « La Voleuse d'hommes », où nous retrouvions trois amies sous la coupe d'une quatrième femme. Ici le rapport est inversé (une petite fille sous la coupe de trois autres) mais j'ai retrouvé cette séduction et cette sorte d'ascendance/fascination/emprise très bien rendue.

Un roman intimiste que j’ai beaucoup aimé sur un sujet qui demeure malheureusement d’actualité puisqu’il n’a jamais été autant question que de harcèlement moral à l’école, de l’extrême solitude de l’enfant qui en est victime et du choix parfois radical comme solution ultime pour s’en dépêtrer.

« La plupart des mères s'inquiètent lorsque leur fille arrive à l'adolescence. Pour moi, ce fut le contraire. Je me détendis, je soupirai d'aise. Les petites filles ne sont petites et mignonnes qu'aux yeux des adultes. Entre elles, elles ne sont pas si mignonnes. Elles sont grandeur nature. »