L'usine des cadavres - Ou la fin d'une usine automobile du nord de Paris
de Silien Larios

critiqué par Cyclo, le 30 novembre 2013
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
un brûlot
Une usine automobile, en région parisienne, dans le 93. Nous sommes en 2011, et des bruits circulent comme quoi l'usine s'apprête à fermer. Les ouvriers attendent, ne sachant trop que penser, les syndicats, eux, prétendent les défendre, mais sont verrouillés par le patronat (le syndicat "maison"), les staliniens ("Rouges"), les tièdes ("Crétins"), les religieux ("Jansénistes") ou par les différentes branches trotskistes ("Grands", "Petits", "Autres") qui se bouffent le nez, en se proclamant les seuls révolutionnaires, tout en négociant en sous-main avec la direction, histoire de montrer qu'il faut savoir finir une grève, ou qu'on est le seul interlocuteur valable dans les négociations... Pourtant, les ouvriers, eux, ont leur petite idée. Marre des luttes d'influence, de pouvoir, des bureaucrates, des manipulations, et du soi-disant centralisme démocratique. Pendant ce temps, l'élection présidentielle approche, il faut faire connaître la lutte pour la sauvegarde des emplois.
Dans un style célinien (farci de points d'exclamation !), parfois un peu confus, raconté par un ouvrier de base, revenu du trotskisme, on a une description crue de la vie à l'usine, des cadences infernales, des magouilles de la direction (qui use de contrainte pour que l'ouvrier victime d'un accident du travail - fréquent - ne le déclare pas), et du désir des ouvriers que les délégués syndicaux (qui ne travaillent donc plus !) ne leur volent pas leur lutte, leur détermination, leurs idées. Beaucoup de références au cinéma, à la musique, à la littérature aussi, et un humour noir dévastateur. Rarement lu un langage aussi proche de l'oralité dans les phrases prononcées par les protagonistes.
Un roman, inspiré de faits réels (la fermeture de PSA d'Aulnay-sous-Bois), écrit avec une hargne vengeresse : le syndicalisme ni le patronat ne sortent indemnes de ce jeu de massacre. Pas facile à lire tout de même, mais qui remet les pendules à l'heure : oui, n'en déplaise aux sociologues et autres tenants de la modernité, la classe ouvrière existe toujours, et l'exploitation de l'homme par l'homme aussi. Peut-être même plus qu'avant, avec le mondialisation et les délocalisations... J'ai particulièrement apprécié certains passages : "ceux qui en 36 avaient ébranlé l'ordre établi. Établi pour les riches. Ils avaient sûrement trouvé scandaleux que des salauds de pauvres réclament leur dû. Scandale suprême : en plus, les voilà payés une semaine à rien foutre !", souvent entendus dans ma vie, mais rarement lus dans un roman.
Mon grand regret est que les noms propres (hommes et femmes politiques, syndicalistes, etc.) ont été changés, même s'ils sont assez transparents. Car on est quand même ici dans le réalisme, même si tout est vu par le prisme d'un ouvrier et de son point de vue, assez pessimiste en fin de compte, ou bien au contraire simplement objectif ?
Voilà donc un roman prolétarien, écrit par un ouvrier, une rareté en France, où la littérature est largement accaparée par la bourgeoisie ou les professeurs... Donc mettre une pierre blanche, en espérant que l'auteur puisse continuer.