Journal, VII : Apaisement: (1997-2003)
de Charles Juliet

critiqué par Cyclo, le 30 novembre 2013
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Admirable "Journal"
Le "Journal" de Charles Juliet sera sans doute sa grande œuvre. Le septième volume vient de paraître. Âgé de la soixantaine, Juliet commence juste, au fil de son long voyage intérieur entamé il y a une trentaine d'années auparavant, à se sentir apaisé. il a une formidable empathie pour les gens qu'il côtoie ou qu'il croise. Les souvenirs ressurgissent aussi, au fil de ses déplacements, sur les lieux de son enfance et de sa jeunesse, et il sait apprécier les rencontres ici et là, quand il est invité en résidence d'écrivain ou pour prononcer des conférences (sur Cézanne, Victor Hugo..) ou pour se confronter à ses lecteurs, jeunes et moins jeunes, en liberté ou prisonniers...
Ce "Journal" est une des œuvres essentielles d'aujourd'hui (à mille lieues du nombrilisme de l'autofiction), qui pourrait aider bien des individus à se construire ou à se reconstruire après un malheur, des souffrances ou un deuil. Juliet fait part de ses lectures aussi et donne envie de lire d'autres livres que les siens. Ce n'est pas son moindre mérite.
On ne peut mieux lui rendre justice qu'en citant quelques extraits :
1er décembre 1997 : Les effets du regard sur autrui. Il peut être humiliant, déstabilisant, dévalorisant, aimant, approbateur, protecteur, encourageant...
La violence du Voir. Quand on se sent observé, épié. Le regard pénètre. Ou il est pénétré.
22 février 1998 : s'appliquer à se connaître, c'est aussi vouloir se transformer, c'est se défaire d'une personnalité d'emprunt, c'est travailler à détrôner l'égo, c'est tirer au jour ce noyau dur et inaliénable qui sommeillait au plus reculé de notre nuit, c'est devenir enfin soi-même. Quand au terme de ce dur travail on est devenu soi-même, alors on accède à un état qui est à la fois lucidité, vigueur, bonté, simplicité, sérénité, sagesse, consentement à soi et adhésion à la vie.
10 septembre 1998 : En lisant ce récit ["La trêve", de Primo Levi], en découvrant ce que ces hommes avaient enduré, combien m'ont paru dérisoires les petits malheurs que j'ai connus.
14 janvier 1999 : quand nous regardons une toile avec attention, nous sélectionnons et nous modifions les informations que nous en recevons. Par exemple, tel élément réactive une émotion agréable ou désagréable. En détaillant ce que j'ai sous les yeux, je risque donc de privilégier ce qui me plaît et de négliger ce qui ne me touche pas. De surcroît, je me projette sur la toile, et cette projection est fonction de la réaction qu'elle aura suscitée en moi. Se déverseront sur elle des désirs, des fantasmes, des souvenirs d'autres toiles... lesquels détermineront la connaissance que j'en prends. On voit donc qu'en raison de ces deux opérations plus ou moins conscientes, la vision que j'ai d'une toile est toute personnelle.
23 mars 2002 : Ce vieux monsieur me disant qu'il est terrible de vivre quand on ne reçoit pas un peu de tendresse.
Le pouvoir qu'a une voix, la nuit, pour le solitaire.
24 juillet 2002 : dire "non" ne s'apprend pas. La compassion, la révolte, le refus de participer à des actes condamnables, ne s'enseigne pas. Que ce "non" soit dicté par un sursaut de la sensibilité, de la conscience morale, qu'il soit spontané ou résulte d'une mûre réflexion, il ne peut avoir sa source qu'au plus profond de l'être.
cette petite voix, en nous, qui exige parfois qu'on s'insurge et dise "non, je refuse".
21 octobre 2002 : Un être qui se cherche, qui est en pleine révolution intérieure, il est conduit à d'importantes remises en cause. Il arrive alors qu'il soit en rupture avec son entourage. En conséquence, il s'adresse des reproches, doute de lui-même, combat ce qu'il pense, se figure qu'il est anormal... Il se sent de plus en plus seul, s'enfonce dans la souffrance, devient mutique, convaincu que s'il parlait, il ne serait pas entendu. Mais que des mots prononcés par autrui aident à comprendre les causes de ce déchirement, alors tout change.