La Guerre de Cent ans
de Jean Favier

critiqué par Francois Sarindar, le 28 octobre 2013
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Les Français exposés et divisés puis enfin rassemblés face aux Anglais
Venant longtemps après La Guerre de Cent ans d'Edouard Perroy, le livre de Jean Favier, complété par la suite par des biographies du Bon roi René, de Pierre Cauchon et de Louis XI, et par une histoire de la Papauté en Avignon, ne pouvait que renouveler complètement le sujet.
Longtemps avant que Georges Minois n'abordât à son tour l'histoire de ce conflit en montrant qu'il avait d'abord commencé comme une guerre féodale avant de se terminer par une prise de conscience par les peuples français et anglais qu'ils appartenaient à des ensembles territoriaux, linguistiques et culturels assez distincts, et que leurs destinées ne pouvaient être éternellement communes, Jean Favier s'est plu à relister les causes du conflit en les distinguant bien : difficulté éprouvée par les monarques anglais à se reconnaitre vassaux du roi de France, mouvements insurrectionnels flamands contre le comte trop proche des Français, besoin de maintenir des liens entre producteurs de laine anglais et marchands drapiers des Flandres, rupture dynastique entre Capétiens directs et prétendants Valois en 1328, démêlés de Geoffroy d'Harcourt et de Robert d'Artois avec la Couronne de France, manque d'envergure de Philippe VI de Valois, médiocrité de son successeur Jean le Bon qui, malgré sa bravoure, ne réussit qu'à mettre la monarchie valoisienne en situation d'otage du roi d'Angleterre, Édouard III, vainqueur de Philippe VI à Crecy en 1346 et par son fils le Prince Noir triomphateur du téméraire Jean le Bon sur le Champ Alexandre à Poitiers-Maupertuis en 1356. Il y eut donc des causes au durcissement progressif du conflit, et l'on voit bien que dans les débuts de cette Guerre dont les origines sont finalement multiples, il y a surtout addition d'événements qui permettent aux Anglais de marquer des points sans pour autant que ces derniers puissent terrasser les Valois, preuve que l'implantation anglaise n'était pas assez forte pour leur permettre de donner des coups fatals aux deux rois français qu'ils défirent sur le champ de bataille. L'envahisseur dut se contenter de points d'appui en Normandie, en Bretagne, en Aquitaine et à Calais pour organiser des expéditions qui n'étaient souvent que de simples Chevauchées faites souvent de pillages et de carnages.

Paris et ses marchands, pressurés d'impôts, voulurent, profitant de la captivité de Jean le Bon, retenu prisonnier en Angleterre, réclamer des explications et un droit de regard sur l'emploi des fonds ainsi rassemblés en le rationalisant. Mais cela tourna à l'insurrection dont se mêlèrent un évêque, celui de Laon, Robert Le Coq, un prévôt des marchands de l'eau, Étienne Marcel, et un prétendant au trône, impatient de s'emparer de la Couronne, Charles le Mauvais, roi de Navarre. Ensemble, ils firent trembler le jeune premier Dauphin de l'Histoire de France, le futur Charles V, qui avait plus ou moins la lieutenance du royaume en l'absence de son père, et Marcel fit tuer sous ses yeux deux de ses principaux conseillers, le maréchal de Champagne et le maréchal de Normandie. Plus tard, débarrassé d'Etienne Marcel et passé le temps de la Grande Jacquerie, révolte de trop qui fit se réunir toutes les parties contre les paysans en ébullition, Charles devenu roi, conservera une sourde méfiance à l'égard des Parisiens, fera construire une seconde enceinte et la Bastille Saint-Antoine au flanc est de la capitale pour protéger le château de Vincennes et l'hôtel Saint-Pol, les deux résidences préférées du nouveau monarque.
Charles V, dit le Sage parce que très lettré, fit tout ce qu'il put pour faire oublier et annuler les dispositions du traité de Brétigny, qui démembrait le royaume, et il sut s'appuyer sur le très rusé guerrier breton, Bertrand du Guesclin, pour reconquérir place après place et ville après ville les possessions des Anglais et des Navarrais en France, faisant de ce bras armé son connétable, en ne laissant que très peu ce dernier engager des combats en bataille rangée : la victoire inaugurale de Cocherel, fut suivie de quelques faux pas car Du Guesclin à Auray en choisissant de soutenir Charles de Blois, voulu duc de Bretagne par Charles V, commit une erreur, et Jean de Montfort, candidat des Anglais, sortit vainqueur de la rencontre et fit prisonnier le connétable. A cette guerre de Succession de Bretagne s'en ajouta une autre en Castille, vers laquelle, Du Guesclin ayant recouvré sa liberté, mena le trop-plein des hommes d'armes inemployés lors des trêves signées avec les Anglais, au gré des avancées des armées françaises, pour combattre en Espagne aux côtés d'Henri de Transtamare, prétendant au trône de Castille, contre Pierre le Cruel, allié des Anglais. La première tentative ne fut pas la bonne, car les Grandes Compagnies menées par Du Guesclin, furent déconfites par le Prince Noir et par Pierre le Cruel à Najera, et cela remit le connétable une nouvelle fois entre les mains de ses ennemis, mais il put encore racheter sa liberté et prendre sa revanche à Montiel, ce qui permit au Transtamare de succéder à Don Pedre. En récompense, la flotte castillane aida nos armées à reprendre le port de La Rochelle.
A la mort du connétable puis du roi, en 1380, presque toute la France d'alors avait été reconquise, hormis Calais et Bordeaux et d'autres villes.

Les oncles du nouveau roi Charles VI, les frères de Charles V chassèrent les conseillers du défunt, appelés les Marmousets. Charles VI lui-même avait un frère très ambitieux et avide de pouvoir : Louis d’Orléans, que l'on pouvait soupçonner de vouloir la couronne pour lui-même. Et l'on peut se demander s'il n'y serait pas parvenu à la longue si le duc de Bourgogne, Jean Sans Peur n'avait cherché à l'en empêcher. Le duché de Bourgogne avait été constitué en faveur du père de Jean Sans Peur, Philippe le Hardi qui s'était battu vaillamment auprès de son propre père Jean le Bon à Poitiers et il avait reçu ce duché en guise de remerciement. Dès lors que Jean Sans Peur lutta contre Louis d'Orleans, les Anglais servirent souvent d'arbitres entre les deux, ce qui ne pouvait que rallumer à terme la guerre entre France et Angleterre, et la situation fut souvent illisible, car les Anglais eurent pour alliés tantôt les partisans du duc d'Orléans et tantôt ceux du duc de Bourgogne.
Le rapprochement de ces derniers avec les Anglais ne devint évident que lorsque, après l'assassinat en novembre 1407 de Louis d'Orléans par des sbires rétribués par le duc de Bourgogne, la mise à mort de Jean Sans Peur sur le pont de Montereau en septembre 1419 consomma pour plusieurs années la rupture entre Orléans-Armagnacs et Bourguignons : les Anglais avec Henry V de Lancastre s'étaient engouffrés dans la brèche et ils écrasèrent à Azincourt le 25 octobre 1415 les forces franco-bourguignonnes une dernière fois unies sous la même bannière durant le règne de Charles VI dit le Fou ; mais le meurtre de Jean Sans Peur à Montereau jeta son fils Philippe le Bon dans les bras des Anglais pour un temps. Et ce fut le désir de Charles de Ponthieu, fils de Charles VI et futur Charles VII, qui, présent à Montereau, pouvait être suspecté d'avoir prémédité l'élimination de Jean Sans Peur, de vouloir se rapprocher par tous les moyens du nouveau duc de Bourgogne Philippe le Bon. Charles de Ponthieu fut donc renié lors de la signature du traité de Troyes par ses parents, Charles VI et Isabeau de Bavière, "protégés" par les ducs de Bourgogne au moment où l'on reconnaissait au roi d'Angleterre le droit de devenir aussi roi de France à la mort de Charles VI. Henry V étant décédé avant ce dernier, c'est donc à Henry VI qu'était promise la couronne de France. Une fois levé le siège que les Anglais avaient mis devant Orléans et qui menaçait Yolande d'Aragon, belle-mère du futur Charles VII, dans ses domaines angevins si le verrou de la Loire sautait, ce qui pouvait aussi mettre en péril l'existence du "Royaume de Bourges" où s'était constitué le pouvoir de ceux qui entendaient servir le futur Charles VII, et une fois ce dernier couronné à Reims en juillet 1429, le tout grâce au coup de pouce de Jeanne la Pucelle, Charles VII put faire valoir sa logique de paix avec les Bourguignons : ce fut le traité d'Arras en 1435 et la reprise de Paris en 1436 avec l'aide des Bourguignons contre les Anglais. Puis le relèvement facilité aussi par la mise à l'écart de La Tremoille et le retour en grâce du connétable Arthur de Richemont, trop longtemps écarté par Charles VII et La Tremoille. La Normandie fut reconquise par Richemont en 1449 et l'œuvre fut parachevée par la victoire de Formigny. Enfin, en 1453, Dunois aida à la conquête de l'Aquitaine : les Anglais furent écrasés à Castillon et Bordeaux passa sous le contrôle des Français.
C'est tout cela que nous conte Jean Favier, avec brio, et son travail reste pour tous un outil de référence.
François Sarindar

Reste