Jeanne d'Arc
de Colette Beaune

critiqué par Francois Sarindar, le 16 avril 2014
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Jeanne la Pucelle thématisée
Comment comprendre Jeanne si on ne refait d'abord l'histoire des mentalités au XVe siècle, et si on ne la resitue dans l'univers symbolique qui permet de mieux la positionner "intellectuellement, spirituellement et matériellement" dans la seconde partie de la guerre de Cent Ans ? Qui mieux que Colette Beaune, déjà auteure d'une célèbre Naissance de la Nation France (1985), pouvait aborder Jeanne sous cet angle ?
Si l'on veut comprendre pourquoi l'on s'évertua à dire que la jeune fille fut une Bergère quand on sait fort bien qu'elle ne le fut pas mais que cela devait être présenté ainsi dans l'ordre des symboles par un renvoi allusif mais riche de sens à la mythologie davidique, il ne faut pas manquer de lire ces pages. Si elle a jamais gardé des troupeaux, ce furent plus sûrement des bovins que des ovins, et encore par tour très espacé d'accompagnement au pâturage du cheptel de l'ensemble des villageois. Et si l'on veut avoir le fin mot de l'histoire sur l'importance de la virginité pour une prophétesse en action, c'est que l'on doit comprendre que les auditeurs de la jeune femme avaient besoin de réalité concrète et de la faire passer par un examen corporel qui devait, en vérifiant ses dires, authentifier le bien-fondé de ses requêtes, et valider sa mission aux yeux des partisans de Charles VII qu'elle appela le Dauphin tant qu'il ne fut pas sacré en la cathédrale de Reims. Et si on voyait en elle la réalisatrice et "l'actualisatrice" de prophéties anciennes, c'est que l'on a dû plier l'Histoire à cette rumeur et à cette réputation largement répandues avant que Jeanne ne se manifestât, cela afin de faire correspondre le profil de la Pucelle au portrait de l'envoyée du Ciel censée réparer les maux dont souffrait le royaume, ou du moins la partie de celui-ci restée fidèle aux Valois.
Et Colette Beaune aborde ainsi tous les thèmes qui renvoient aux images fabriquées du vivant même de Jeanne ainsi qu'aux traits essentiels de sa personnalité, mais aussi à ce qui a pu servir à ses accusateurs à la juger comme à ses "partisans" à justifier son action. Où l'on découvre aussi que Jeanne porteuse d'armure ne fut pas la seule femme de guerre active en son temps : un certain nombre de cas sont cités à l'appui de cette démonstration ; toutefois, Jeanne focalisa sur elle, d'un côté un fort courant de sympathie, voire de vénération, et de l'autre fut vouée à l'exécration et regardée comme un instrument du mal. Chacun la jugeait selon l'appartenance à tel ou tel camp, tous cependant, même les chroniqueurs bourguignons, lui reconnaissaient du courage et une force de persuasion dans l'action.
Il y a donc un travail de fond sur la manière dont les choses ont été perçues des deux côtés de la barrière.
Le tout n'empêche nullement Colette Beaune de faire entre de gros chapitres thématiques et analytiques un bref rappel biographique et chronologique, étape après étape, ce qui donne à l'ensemble une grande cohérence et fait de ce travail un véritable ouvrage de référence.
On peut compléter sa lecture par celle des articles écrits ici et là par Françoise Michaud-Fréjaville.
Ajoutons-y : Jeanne d'Arc, vérités et légendes, ouvrage écrit pour rétablir, tout aussi bien que l'a fait
Olivier Bouzy avec sa "Jeanne d'Arc, l'Histoire à l'endroit", la réalité historique factuelle face aux inventions des "mythographes".
François Sarindar