Bleus horizons
de Jérôme Garcin

critiqué par Paofaia, le 24 octobre 2013
(Moorea - - ans)


La note:  étoiles
Le jumeau de guerre
Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre
Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi
Mais votre appel ,au fond des soirs, me désespère
Car j'ai des grands départs inassouvis en moi.


En écoutant en boucle les Leçons de ténèbres de Couperin , chantées par Alfred Deller, je guettais, dans les correspondances , les journaux intimes , les carnets de notes, les textes inachevés, les oeuvres interrompues, des traces du terrible pressentiment qui saisit celles et ceux dont la vie sera brève, dont l'oeuvre sera empêchée, et dont je me croyais secrètement, par je ne sais quel héritage spirituel, le légataire testamentaire écrivait Jérôme Garcin dans Olivier.

Après Hérault de Séchelles , Etienne Beudant et Jean Prévost, Jérôme Garcin continue à parler de destins trop tôt brisés.

Empruntant son titre à un recueil de Roland Dorgelès, il évoque dans ce roman la vie d'un écrivain et poète Jean de La Ville de Mirmont mort au Chemin des Dames en novembre 1914. Employé à la Préfecture le jour, auteur d'un seul roman Les dimanches de Jean Dézert et d'un recueil de poèmes, L'horizon chimérique qui inspirera Gabriel Fauré... et beaucoup plus tard Julien Clerc.

Un jeune homme rêvant de voyages , de dangers, idéaliste , passionné , rongeant son frein dans son travail et trouvant dans cette guerre une occasion de vivre. Il y vivra deux mois.

Pour le faire réexister, Jérôme Garcin lui a inventé un "jumeau de guerre", amoureux, comme lui, de la littérature , Louis Gémon , rencontré à Libourne et témoin de sa mort.
Louis Gémon, lui, survivra. Enfin, si peu. Car le rôle des jumeaux, pour Jérôme Garcin , quand l'autre manque, est de le faire exister quand même.
En le faisant connaître, reconnaître. Et, ici, publier, c'est difficile ce qui vaut un chapitre assez savoureux sur Bernard Grasset frappé d'indignité nationale en 1918.
On croise aussi dans ce roman Fauré, devenu sourd, Mauriac, l'ami d'enfance et tous les écrivains morts au combat.

C'est, encore, le récit d'un survivant qui ne comprend pas , comme souvent, pourquoi il l'est . Louis Gémon ne se remettra jamais de la mort de Jean, se confondant en lui et refusant d'exister. Jusqu'au bout et au dernier chapitre, plein d'une ironie désespérée.

On ne rattrape pas plus le soleil perdu qu'on ne réveille de son sommeil éternel l'ami disparu. Je me demande si cette fable sur l'illusion d'optique que Jean a écrite à vingt ans ne m'était pas destinée, si du moins elle n'était pas destinée au frère imaginaire qui lui survivrait. Ce pétrel plaintif, ignorant et borné, qui fonce droit vers la clarté sans comprendre que le soleil descend pour mourir, c'est moi. Je suis devenu un oiseau de l'amer aux ailes brisées qui se terre dans un trou humide du Senonais.

Beau roman.