Sur les traces de 14-18 en Wallonie. La mémoire du patrimoine
de Daniel Conraads, Dominique Nahoé

critiqué par JulesRomans, le 28 octobre 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
CL On fait plier un jeune rameau slave mais pas une vieille branche romane
Cet ouvrage vient à point et on avait apprécié l’intervention de Ghislaine Devillers du Département du Patrimoine de Wallonie au Colloque "Construire l'avenir des paysages et sites de mémoire de la Grande Guerre" (http://heritage-grandeguerre.fr/actualites.html/). Elle soulignait que la partie méridionale de la Belgique ne connaissait que la guerre de mouvement, sauf Ploegsteert (aujourd’hui partie de Comines-Warneton, à proximité immédiate d’Armentières) qui voit ses bois occupés par des tranchées anglaises visitées par Churchill en 1916, le village n’étant occupé par les Allemands que d’avril à septembre 1918.

L’autre particularité de la Wallonie est de compter un nombre impressionnant de civils massacrés sous prétexte que leur village aurait accueilli des francs-tireurs. Pour le seul Luxembourg belge, on compte on compte 867 victimes civiles fusillés au début de la Grande Guerre dans le cadre de ce qu’on a appelé "les atrocités allemandes".

Peut-être dans le souci de ne pas faire concurrence à l’excellente carte La Première guerre mondiale de Liège à l’Yser et la Somme 1914-1918, Sur les traces de 14-18 en Wallonie : la mémoire du patrimoine manque cruellement de représentation géographique sous forme de carte. Par contre l’ouvrage de Daniel Conraads et Dominique Nahoé est largement illustré, je l’évalue au quart de la surface. La page étant de bonne dimension (27x30 cm), à quelques très rares exceptions près les moindres détails significatifs sont lisibles.

Les supports iconographiques sont par contre très variés dans leur matérialité d’origine et dans l’époque où ils ont été réalisés. L’introduction propose une page entière de Didier Comès pour la BD "L’Ombre du corbeau". En effet ce dernier, outre que d’y conter en septembre 1915 l’arrivée d’un militaire allemand (ahuri après que des tirs de l’artillerie française aient massacré les hommes de son escouade) dans une grand propriété ayant échappé aux bombardements, est natif des cantons de l’est. Pour les francophones extérieur à la Belgique, rappelons qu'appelées aussi autrefois cantons rédimés, ces territoires couvre environ 1 000 km2. Ils furent arrachés en 1815 à la France pour rejoindre la Rhénanie prussienne et non le royaume des Pays-Bas comme la situation d’avant 1792 l’aurait voulue car ils avaient comme souverain l’empereur d’Autriche ou un prince-abbé.

Cette même introduction rappelle combien la Wallonie est riche en diverses mémoires de la Grande Guerre : la légende d’archers ailés venus porter main forte aux soldats anglais à Mons, l’hécatombe des soldats français fin août 1914 à Rossignol, que dans les Forons on se pressait pour franchir une frontière belgo-hollandaise électrifiée (un mur de Berlin avant l’heure, pensé par les Allemands et construit par des civils belges pour partie), la présence à Spa et Virton des quartiers généraux de l’armée allemande…

Le premier chapitre traite des liens entre l’Allemagne et la Wallonie à la Belle Époque, les populations ouvrières nées dans le Reich n’étaient pas négligeables en nombre en particulier à Verviers et les deux économies étaient assez imbriquées l’une dans l’autre. La résistance de l’armée belge et la question des premiers morts belge, français et allemand est posé là, on a élégance suprême vis-à-vis du voisin français reproduit sur les deux-tiers de la page, le monument au mort du premier Français tombé non loin de Belfort le jour précédent la déclaration de guerre. Le second chapitre évoque les massacres des civils, tandis que les trois et quatrième parties parlent de la bataille des frontières puis de la période de novembre 1914 à l’Armistice avec en particulier la place des Wallons dans les tranchées sur le front de l’Yser et la présence d’Hitler tant à Liège sans combattre qu’à Geluwed en Flandres mais à la limite du village au plus au nord de la Wallonie. La première guerre d'Hitler de Thomas Weber a été heureusement lue, ce qui permet de dire à juste titre que Hitler fut soldat de première classe et non caporal.

Les très dures conditions d’occupation se voient offrir environ 75 pages, les mesures de reconstruction constituent l’avant-dernier point. L’ouvrage se clôt sur les lieux de mémoire, le tourisme de guerre de l’Entre-deux-guerres et les commémorations des années 1920 à aujourd’hui. La bibliographie est abondante, là où elle est la plus confuse est dans le domaine de la BD, un saut au Musée de la bande dessinée de Bruxelles n’aurait pas été inutile pour ne signaler que les albums où il y avait une action en Wallonie ou dans l'ensemble de la Belgique.

On propose en effet des titres où il y n'a des aventures qu'en France (comme "Le soldat inconnu"), aucun des nombreux titres de Servais n'est proposé, "Les Maîtres de l’orge, 3 Adrien" est inconnu au bataillon, "Le long hiver 1914, tome 1" met quand même en scène le Miracle de Mons et on en passe d'autres... Les lecteurs de Critiques libres savent heureusement que nous signalons toujours dans une BD autour de la Grande Guerre s’il y a une action en Belgique. Par ailleurs, la bibliographie ignore systématiquement l'éditeur et nous indique des lieux fantaisistes d'édition comme avec "Le soldat inconnu".