Si beau, si fragile
de Daniel Mendelsohn

critiqué par Paofaia, le 16 octobre 2013
(Moorea - - ans)


La note:  étoiles
En marge du livre Les Disparus
En France, Daniel Mendelsohn est surtout connu pour son ouvrage Les disparus, livre enquête sur la disparition d'une partie de sa famille en Pologne au début des années 40. Mais aux Etats-Unis, depuis une vingtaine d'années, c'est comme essayiste critique qu'il exerce , écrivant notamment dans la New York Review of Books et au New Yorker,. Comme il est depuis l'enfance curieux de tout , ce spécialiste au départ de lettres classiques écrit sur beaucoup de choses qu'il lui est donné de voir, entendre ou lire.
Ce livre rassemble 25 textes classés par thème .

Pourquoi ce titre, il l'explique dans la préface:

"Si beau, si fragile: ces deux adjectifs viennent d'une phrase clé des notes de production de l'une des plus grandes pièces de Tennessee Williams, La ménagerie de verre , un drame sur la victimisation d'une jeune fille fragile tragiquement éprise de beaux objets qu'un rien suffit à briser: sa fameuse collection de figurines animales en verre qui donne son titre à la pièce et qui, bien entendu, constitue un symbole tout trouvé pour les thèmes de la délicatesse et de la fragilité, des illusions charmantes qui peuvent conférer un sens à notre vie et des nécessités dures qui peuvent les anéantir. Singulièrement, la phrase de Williams apparaît dans une indication scénique qui ne porte pas sur le décor de la pièce, mais sur un certain leitmotiv musical qu'il a à l'esprit et qui, écrit-il dans sa didascalie toujours très précise," exprime la vivacité de surface de la vie avec la tension sous-jacente du chagrin immuable et ineffable.. Quand on regarde un morceau de verre délicatement filé, on pense à deux choses: que c'est beau , et que c'est fragile. Ces deux idées devraient être tissées dans le thème musical récurrent."

"Je pense que si cette phrase obsédante m'a fait un tel effet la première fois que je l'ai lue , c'est parce qu'elle pose, avec une parfaite simplicité, l'inévitable enchevêtrement de la beauté et de la tragédie, caractéristique du théâtre grec, et que je retrouve dans les oeuvres qui m'ont toujours le plus ému depuis les pièces d'Euripide jusqu'aux romans de Michael Cunningham, des films de la jeune réalisatrice américaine Sofia Coppola à ceux du maestro espagnol Pedro Almodovar. Comme le savaient si bien les Grecs, c'est cette fragilité ( parce qu'elle nous renvoie à notre propre mortalité) qui confère une résonance et un sens à l'infime part de l'univers qu'est notre vie. La nécessité, au bout du compte, de céder aux réalités dures et inexplicables que nous ne contrôlons pas est une évidence éminemment tragique ; sans elle, tout n'est que de la guimauve - mélodrame et sentimentalisme bon marché. Or, la prévalence de ce type de sentimentalisme dans tant de produits de la culture contemporaine , leur propension à proférer de faux " dénouements" à une confrontation puissante et riche de sens impliquant une douleur réelle et inaltérable ne sont rien de moins qu'une crise culturelle. Et cette crise est un autre fil d'Ariane de ce volume...

..Les critiques sont , avant tout, des gens qui aiment les belles choses et craignent que ces belles choses ne soient brisées. Ce qui incite tant d'entre nous à écrire est en premier lieu une vraie passion pour un sujet que nous trouvons beau ( qu'il s'agisse de l'Enéide, des films de Jean Renoir, du jazz, du roman du XIXème siècle, ou de tout autre chose); et en second lieu, une sorte d'angoisse à la mesure de la fragilité de ces belles choses."

Tout est donc posé, ces textes , tous assez longs, vont parler d'oeuvres qu'il aime. Ou qui l'amènent à réfléchir à ce qu'il aime. Ce sont des avis bien sûr subjectifs, mais longuement réfléchis, travaillés, documentés, et qui, même si on peut les discuter, poussent à la réflexion. Tout est clairement exprimé, et cohérent. Bien sûr, tous les chapitres , quoique tous intéressants, le sont d'autant plus que le lecteur , pour enclencher sa propre réflexion, sait de quoi parle l'auteur..

C'est ainsi que mon manque absolu de culture gréco-latine m'a privée de pénétrer beaucoup dans ses développements critiques sur les films Troie de Wolfgang Peterson ou Alexandre d'Oliver Stone. Films d'ailleurs vus et complètement oubliés!

De même pour certains écrivains que je connais insuffisamment . Par contre, pour des écrivains qui me sont plus familiers, comme Philip Roth, Truman Capote Virginia Woolf, ou.. Jonathan Littell , j'ai eu grand plaisir à lire des textes sensibles, très accessibles, et qui éclairaient à chaque fois ma propre lecture, c'est ce que je demande à un critique professionnel!

De la même façon , et peut être encore plus pour le cinéma avec des thèmes comme les personnages féminins chez Almodovar, la génération Tarantino et ce qui l'a culturellement nourrie ( avec, en particulier, une analyse que j'ai trouvée très pertinente de son goût pour la vengeance, poussé à l'extrême dans Inglorious Bastards ), la représentation du 11 septembre au cinéma, ce que signifient vraiment les critiques américaines du Secret de Brokeback Mountain, etc.

Mendelsohn, dans chacun de ces textes, confronte et développe les cultures dans leur histoire, avec rigueur et clarté, et c'est toujours pour moi un vrai plaisir de le lire.

Même si j'ai lu récemment qu'il avait écrit une critique assez assassine sur la série Mad Men que j'aime beaucoup!On se reprend, Mr Mendelsohn!