L'invention de nos vies
de Karine Tuil

critiqué par Veneziano, le 6 octobre 2013
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Une substitution d'identités trans-raciale
Pour échapper à la condition qu'il craint devoir subir, Samir se fait passer pour Samuel, le jeune Arabe décide de devenir son ami juif pour mieux réussir dans le monde judiciaire new-yorkais, où il devient Avocat. Il épouse une Juive, Nina, dont il a deux enfants. Mais, en raison d'un transfert d'argent à destination de son frère, son destin bascule, et sa véritable identité est démasquée. La descente aux enfers commence : il est soupçonné de subventionner des activités terroristes et de fomenter des actions d'une telle nature sur le sol américain.
Les sentiments se mêlent, dans un climat de grande violence, psychologique surtout, et quelque peu physique également. La tension lié à la perception des races et à leurs relations tisse l'intrigue de ce roman. La fin, que je me garde bien de livrer ici, ouvre une lueur d'espoir.

Je ne vous cache pas que cette lecture a été rude. L'idée qui a généré ce livre est forte, intéressante. Mais aucune concession n'est faite dans son traitement, tout y apparaît tranché, vif, sans ambages. Le style est direct, sec, empruntant assez souvent à l'oralité, pour transcrire la rapidité des événements, l'impulsivité des pensées et des conversations. Il lui arrive même d'être relâché, par l'emploi de barres obliques, ou "flashes" (le signe /), pour séparer les éléments de l'énumération, en lieu et place de virgules.
C'est le passage de cette auteure à la Grande Librairie, sur France 5, qui m'a donné envie de passer le pas. Dans cette même émission, était également invité Sabri Louatah, venu présenter le troisième opus des Sauvage. Elle ne manque pas de charme, s'exprime bien et de manière pause.
Globalement, je n'ai pas regretté cette découverte, et l'intérêt du concept m'a été confirmé à la lecture. Ce roman n'est pas sans m'avoir rappelé L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère, inspiré d'un fait divers réel, basé sur un mensonge énorme, d'ordre professionnel, et adapté au cinéma, avec Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil ; et, dans les deux cas, j'ai ressenti la même chose, une attirance pour l'intrigue mêlée d'une gêne face à la faille psychologique qui mène à la violence.
Il vaut la peine, mais il faut avoir l'estomac bien accroché.
L'inventeur éventé 6 étoiles

Après avoir lu « Les choses humaines » et « L’insouciance », je me suis mis quasi dans la foulée à poursuivre ma série des romans de Karine Tuil, pensant que celui-ci allait confirmer le bien que je pensais de cette autrice assez prolifique.

L’histoire évoque à nouveau le monde des puissants de cette terre auquel Samir (alias Samuel) va s’allier pour atteindre ses ambitions en délaissant sa famille, toute morale et toutes convictions. Ce personnage est à tout point de vue détestable mais son ex-ami Samuel et Nina, la femme convoitée, ne sont pas pour autant attachants.

La romancière essaye de donner une connotation sociale à son histoire en dénonçant les discriminations basées sur les origines tantôt maghrébines, tantôt juives, et ce à l’instar de « L’insouciance », mais cela sonne creux et pas seulement en raison de l’image négative qu’elle donne du personnage principal.

Certes le récit est nerveux, rythmé et prenant, mais le mode d’écriture est beaucoup moins bon que ce que j’avais pu observer dans les deux autres romans récemment lus. Il y a aussi quelques soucis de crédibilité et de vraisemblance qui m’ont laissé perplexe. On frôle donc le nanar à la « Paul-Loup Sulitzer », soit la description caricaturale du monde des riches qui peuvent tout se permettre jusqu’au jour où trop c’est trop, et bardaf, c’est l’embardée.

Vous l’aurez compris, ce bouquin est à recommander au bord de la piscine, mais certainement pas à l’occasion d’une discussion de salon. Je mets tout de même 3 étoiles car je me suis diverti sans m'être senti corrompu.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 31 juillet 2020


Le mensonge nous rattrape tôt ou tard.. 10 étoiles

Beaucoup de rebondissements dans ce roman.
Le style de l'écriture est particulier, direct, avec des notes de bas de pages sur le destin des personnages, où la petite histoire rejoint l'Histoire avec un grand H.
Un livre à découvrir dont on se souviendra longtemps.

Chapitre31 - TOULOUSE - 55 ans - 25 septembre 2014


JEU TRAGIQUE DE DUPES 8 étoiles

Le trio Samir, Nina, Samuel cherchent un chemin cohérent pour leurs vies mais ce n’est pas si simple.
Nina chemine son amour entre Samuel et Samir. Le problème ? Ils s’apprécient tous mutuellement. Samuel rêve de faire éditer son roman, sans succès. Samir souhaite faire carrière dans le droit. De nombreux obstacles troublent leurs projets. Samuel vivote d’abord puis trouve le succès. Pour Samir, l’inverse.
L’auteure met l’accent sur la difficulté de se faire éditer et les aléas d’un succès qui récompense tardivement les mérites d’un écrivain.
La mécanique de l’embrigadement pour une cause terroriste est bien expliquée.
Karine Tuil use d’un style plutôt déroutant. Innovant, avec des « / » pour une succession de mots plus ou moins synonymes ou en gradation. Des phrases parfois très (trop) longues qui remplissent la page. Toutefois, le lecteur prend goût à la lecture grâce aux rebondissements qui émaillent le récit.

Ddh - Mouscron - 82 ans - 13 septembre 2014


Où peut mener l’injonction de réussir 6 étoiles

Arriver ou avoir l’impression de rater sa vie, tel est le thème de ce livre. La religion qui marque, qu’elle stigmatise ou victimise, même si on n’est pas pratiquant, le fait que le nom typé peut mettre à l’écart des CV ou laisser supposer une connivence facilitatrice sont des questions développées dans ce livre. Le stéréotype du français jouisseur amateur de femmes objets, le désir féminin de plaire à tout prix au lieu de rester naturelle, la culture des apparences où les vêtements que l’on porte parlent et signifient la position sociale, le mépris de soi quand on n’a pas réalisé son rêve ou celui mis en avant par la société, la fièvre créatrice qui peut être dévastatrice, une certaine déception quand on est sur le devant de la scène car on est moins heureux qu’espéré fournissent une matière secondaire riche qui meut les personnages.

L’auteure nous donne à voir la trajectoire de vie de 3 amis d’université : une femme belle qu’aiment deux hommes, l’un d’origine juive et l’autre musulmane. Les 2 premiers abandonnent leurs études et vivent ensemble, le troisième s’abîme dans le travail pour oublier, maquille un peu puis beaucoup son histoire car il est pris dans les filets du mensonge, devient un avocat compétent, profite d’opportunités qui l’amènent à s’expatrier aux États-Unis, au luxe, à faire un mariage qui l’allie à une riche famille, à avoir de nombreuses conquêtes féminines cachées. Ses anciens amis voient sa photo dans un magazine, et c’est la jalousie qui déboule pour le travailleur social de banlieue, écrivain aux manuscrits refusés qui se demande si sa compagne depuis 20 ans, mannequin pour grandes enseignes, qui est restée avec lui car il avait fait une tentative de suicide, l’aime toujours.

Le style est particulier. L’auteure utilise parfois des expressions ternaires pour renforcer des idées, crie en majuscule, les phrases comme les chapitres sont de longueur variable, ... Le livre a ainsi et aussi un petit côté apprêté avec des clins d’œil d’actualité, de classe sociale, ...

Exemple p. 385 : « C’est un choc,un bloc de béton dans lequel on le coule, un cauchemar, Samir va se réveiller indemne, mais non, les menottes cisaillent ses poignets, il aimerait comprendre ce qui se passe/se joue/s’achève sous la lumière blanche de l’ampoule oscillant au dessus de sa tête dans un mouvement qui l’hypnotise, il questionne/réclame/menace/crie : ‘‘Appelez mon avocat ! Où est ma femme ?’’ ‘‘Ta gueule !’’ »

IF-0414-4221

Isad - - - ans - 9 mai 2014


Seule la vérité rend libre 8 étoiles

A New-York, Sam Tahar, célébrité du barreau d'origine française, représente un véritable symbole de réussite, une « success story » à lui tout seul. Il est marié avec Ruth, la fille de Rahm Berg, un richissime financier juif. Il a deux beaux enfants. Il roule sur l'or. Ayant défendu quelques causes aussi médiatisées que lucratives, il est le chouchou de la presse. Il collectionne maîtresses et aventures et mène la grande vie. Mais ce succès repose sur une imposture. Il s'est présenté comme étant juif alors qu'il est musulman pour pouvoir décrocher son premier poste dans le cabinet de Pierre Levy, célèbre avocat parisien qui lui a mis le pied à l'étrier et qui est devenu son ami. L'ennui, c'est qu'il a usurpé l'identité et la biographie d'un autre ami, Samuel, éducateur et écrivain raté, lequel vit avec Nina, un amour de jeunesse de Samir, alias Sam. Un jour, Samuel et Nina lui donnent rendez-vous pour mettre les choses au clair et rien ne se passe comme prévu.
« L'invention de nos vies » commence comme un roman sentimental avec l'ultra classique trio mari-femme et amant avec un fond de réalité sociale très bien décrite. Sam Tahar est un ambitieux, prêt à tout pour réussir, même à s'inventer un personnage et une vie qui n'ont rien à voir avec la vérité et qui l'entraineront, à son corps défendant, vers des rivages insoupçonnés. La fin, qu'il ne faut bien entendu pas dévoiler, est très surprenante. Elle apporte un regain d'intérêt et comme une morale à une histoire qui sans elle, serait aussi plate que choquante. A elle seule, elle fait basculer l'intrigue vers le conte philosophique ou le drame social dans la lignée de ceux de Tom Wolfe. « Rien ne sert de mentir, on finit toujours par être rattrapé par ses mensonges », « Tel est pris qui croyait prendre » ou « Seule la vérité vous rendra libre », tels pourraient être les aphorismes illustrant le propos de ce livre intelligent et très agréable à lire qui aborde de nombreux thèmes comme l'identité réelle et supposée, le bonheur et la réussite matérielle, la vérité et le mensonge, la liberté et la sécurité ou l'amour et la fidélité. Les quatre personnages principaux sont très bien campés et pleins d'humanité avec leurs forces et leur faiblesses, leurs zones d'ombre et de clarté. Karine Tuil dispose d'une belle plume, mais pourquoi donc éprouve-t-elle le besoin de faire preuve d'originalité gratuite et inutile, en donnant en note de bas de page des détails sur des personnages secondaires qui n'intéressent personne et en abusant du slash, barre utilisée en lieu et place de la virgule, comme si le lecteur avait le choix entre trois ou quatre déclinaisons d'un terme ou d'une idée ? Ceci mis à part, une très bonne expérience de lecture.

CC.RIDER - - 66 ans - 16 mars 2014


Découvert au salon du livre de Francfort 10 étoiles

Le style du l’auteur est dense, à bout de souffle. La course entre les phrases est rythmée par des slashs que j’ai interprétés comme une recherche du mot juste. Particulièrement de style agressif dans le premier chapitre, le lecteur s’habitue à la densité et ce livre se lit à la 6ème vitesse. Un grand coup de vent et en le posant, j’ai une sensation de claque intense !

Outre les thèmes de religion musulmane et juive, le principal intérêt du livre repose dans le titre «l’invention de nos vies », ou comment trois personnages (Samir, Samuel et Nina) recherchent leur identité propre et se développent pour créer le personnage de société qui correspond à leur image de soi interne. J’ai apprécié particulièrement les notes sur les personnages non principaux tout au long du livre, qui animent l’idée que chaque être vit une vie et en rêve une autre.

Les chapitres se succèdent entre les personnages et le livre est construit proportionnellement : à travers ces trois destins pris en main, le lecteur suivra l’apogée et la chute. Comme une soif de reconnaissance au début, et un apaisement vers la fin, le style rapide se calme et les personnages se posent vers la fin. Est-ce que la chute sociale est vraiment une chute en soi ? Pour ces personnages, la chute les rapproche de leur vraie nature et ils se re-trouvent enfin eux-mêmes.

Yotoga - - - ans - 31 octobre 2013


Quand tout s'effondre... 9 étoiles

Samir Tahar n'aurait jamais dû changer son prénom en Sam, persuadé que sa consonance orientale le desservirait. Car ces deux lettres en moins vont coûter cher à ce brillant avocat américain à qui tout réussit mais qui a basé sa vie sur un mensonge.
Bien sûr Sam Tahar n'est pas un personnage de roman que l'on apprécie, il est obséquieux, trahit facilement , trompe sa femme sans remords . Sa chute extrêmement violente ravirait presque le lecteur.
Maitrisé de bout en bout ce texte de Karine Tuil traite des conséquences d'un (petit) mensonge mais met également en avant les dérives de la volonté de se hisser tout en haut de l'échelle sociale.
Roman "goncourable" d'après la dernière sélection de cette académie.

Ndeprez - - 48 ans - 19 octobre 2013


« Avec le mensonge on peut aller très loin, mais on ne peut jamais en revenir » 10 étoiles

Très bon roman que je n’ai aucun mal à imaginer en lice pour le Goncourt et autres prix littéraires. Samir Tahar, brun ténébreux musulman, est contraint de mentir sur ses origines après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver un poste aux Etats-Unis. Il se fait alors passer pour un Juif en volant la vie de son ami et épouse la fille d’un homme puissant de la communauté juive américaine avec laquelle il a deux merveilleux enfants, devient un avocat renommé à New York, riche et adulé par les femmes qu’il collectionne. Tout semble lui réussir.
Pourtant, il a quitté Paris et sa banlieue à cause d’une douloureuse histoire d’amour à l’époque de la fac. Lorsque ladite petite amie Nina refait surface 20 ans plus tard, il ne peut que lui accorder une chance. Son frère se manifeste aussi quand il s’aperçoit de sa réussite sociale. S’ensuivent toute une série d'événements qui concernent tour à tour Samir et Samuel, le mari raté de Nina qui passent l’un et l’autre du succès au désastre en parallèle. Des hauts, des bas, la vie et la réputation ne tiennent finalement qu’à un fil et la société pousse à faire bien des choses sournoises pour s’en sortir. Un événement déterminant va bouleverser le confort de Samir et faire éclater la vérité au grand jour. Du paradis, il va connaître l’enfer.
Ce roman m’a vraiment tenue en haleine d’un bout à l’autre, tant les personnages que le rythme ; l’auteur utilise un style bien particulier et captivant qui traduit la frénésie, l’urgence, la richesse et la pauvreté à outrance et tout ce qui en découle. Le sujet est en plus largement d’actualité. On ne peut pas construire sa vie sur un mensonge. Tôt ou tard, il nous rattrape.

Psychééé - - 36 ans - 8 octobre 2013