De la critique: Précis de sociologie de l'émancipation
de Luc Boltanski

critiqué par Falgo, le 12 septembre 2013
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Théorie et pratique en sociologie
Boltanski pose, dans cet ouvrage, la question de la finalité de la sociologie en tant que discipline scientifique. Doit-elle rester descriptive, c'est à dire aider à comprendre les enjeux et mouvements d'une société? "...ou doit-elle être mise au service d'une critique de la société? (p.12) Cette dernière optique est essentiellement normative et pose ipso facto une véritable question épistémologique.
On sait que le "patron" de Boltanski a été Pierre Bourdieu, dont l'oeuvre est pour une large part - et cela lui a été abondamment reproché - critique. Boltanski reprend à son compte cette optique décisive de Bourdieu et s'en démarque en explicitant en quoi une sociologie récente a évolué depuis les années 1970, évolutions qu'il regroupe sous l'appellation de 'sociologie pragmatique de la critique'.
Après avoir argumenté à nouveau en faveur de l'optique critique à partir des concepts de domination sociale, d'exercice du pouvoir et de violence légitime, Boltanski souligne en quoi une nouvelle "école" sociologique diffère des précédentes. Sans pouvoir dévoiler ici toute la richesse de l'ouvrage, il me semble que deux points majeurs donnent corps à cette différenciation:
- S'il ne renie pas le concept d'habitus qui reste pour lui un des éléments explicatifs du comportement social, Boltanski met l'accent sur les compétences critiques et les capacités stratégiques des acteurs.
- Celles-ci s'affrontent aux rôles, positions et dispositions pratiques des institutions, corps sociaux sans corps, qui influent de manière très puissante sur la vie sociale. Se pose en particulier la question des écarts entre les institutions et leurs porte-parole. Ce qui pose également celle de la différence entre "le monde" et "la réalité", c'est à dire pour faire simple comment les institutions décrivent le monde, ce qui ramène à "la question de savoir ce qu'il en est de ce qui est" (p.13). (Par exemple, typique: comment nous a-t-on présenté officiellement les conséquences en France de l'explosion de Tchernobyl?).
De cette confrontation entre les individus et les institutions, Boltanski fait émerger la nécessité de la critique pour assurer un "bon" fonctionnement social. Théorie qu'il met en regard d'une analyse des régimes politiques de domination dans un dernier chapitre.
Je ne sais si j'ai pu en quelques lignes donner envie de plonger dans la lecture - parfois ardue - de ce livre d'une grande richesse conceptuelle où le lecteur attentif trouve mille sujets de réflexion sur le fonctionnement des sociétés. Dérangeant et constructif, même si l'on peut parfois être en désaccord avec les raisonnements et propositions de l'auteur. J'ajoute que la langue de Boltanski me paraît moins complexe que celle de Bourdieu, même si elle n'épargne pas au lecteur un effort certain de compréhension.