En traîneau avec l'empereur
de Armand-Louis-Augustin de Caulaincourt

critiqué par Bolcho, le 24 avril 2003
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
Une longue conversation avec Napoléon
Quittant l’armée pendant la Retraite de Russie, Napoléon rentre en France. Le voyage dure 14 jours. Le général de Caulaincourt, qui voyage seul avec lui, a noté le contenu de leurs conversations. Cela donne ce livre-témoignage dont j'extraie quelques réflexions.
« On dit (…) que j’abuse de la puissance. J'admets ce reproche, mais c’est dans l'intérêt général du continent, tandis que l’Angleterre abuse bien réellement de sa force (.) pour son seul intérêt, car celui de l'Europe (…) n’est compté pour rien par les marchands de Londres. Ils sacrifieraient tous les Etats de l’Europe, le monde entier même à l'une de leurs spéculations. » Je vous laisse la citation telle qu’elle et tout rapprochement éventuel avec des faits plus récents est de la responsabilité de ceux qui le feront. D’ailleurs, il n'est pas question de désigner des peuples particuliers à la vindicte des purs que nous sommes, mais plutôt de constater la triste pérennité des motivations de conflits.
Napoléon mène une stratégie consciemment « anti-impérialisme anglais ». Il s'agit d’une lutte commerciale entre deux bourgeoisies (l'anglaise et la française) et non du délire d’un mégalomane isolé. D'ailleurs, que ce soit en Histoire ou en politique, les grilles d’analyses centrées sur un personnage sont éminemment suspectes : elles dissimulent d’autres tensions bien plus fondamentales entre des groupes d’intérêts.
Sur l'Espagne, envahie par les armées françaises pour contrer le commerce anglais. « La haine s'usera quand on verra que nous n'apportons au pays que des lois plus sages, plus libérales, mieux adaptées au temps où nous vivons (. ) ». Encore une déclaration qui sonne bizarrement ces jours-ci. La suffisance imbécile n'est pas d'aujourd'hui et même de grands esprits y succombaient. Que dire des petits ?
Il faut rendre justice aux visions du personnage qui se lance dans plusieurs extraordinaires exercices de géostratégie. Napoléon prévoit la vague de décolonisation américaine du XIXe siècle, la montée en force des Etats-Unis et la baisse de puissance anglaise qui suivra. Il a presque 100 ans d'avance et même plus parfois : « C'est une ère nouvelle. Elle amènera l’indépendance de toutes les autres colonies ». A côté de ces visions d’avenir, Napoléon est bien un commerçant en fin de compte : « Encore quelques années de persévérance et quelques bivouacs, et Marseille, Bordeaux rattraperont bientôt les millions qu’ils ont manqué de gagner » (du fait des opérations militaires, veut-il dire).
A lire ce bouquin ? Je ne sais pas. Il y a aussi beaucoup de considérations purement tactiques qui contraignent, si on veut en saisir les subtilités, à se plonger dans les détails militaires et politiques.
Assez curieusement, on en sort avec l’envie d’en savoir plus sur l'auteur, Caulaincourt, qui nous rapporte si bien toutes ces grandes idées.