Epistémologie des sciences de l'homme
de Jean Piaget

critiqué par Elya, le 14 août 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Abandonner la classification arbitraire et réductrice des sciences dites "exactes" ou "dures" opposées aux sciences "molles" ou "humaines"
Depuis que j’ai lu pour la première fois un livre du sociologue Pierre Bourdieu, je m’interroge sur les méthodologies des sciences sociales ; comment peut-on rendre compte de manière objective des faits sociaux, des comportements, des évènements ? Il est déjà si délicat d’étudier le corps humain, ses pathologies et leurs recours. Pourtant la biologie et la physiologie sont souvent classées dans la catégorie des sciences dites « naturelles », et donc plus proche des sciences dites « exactes » voire « dures ». Alors qu’on aurait plutôt tendance à placer la sociologie, et plus généralement les « sciences de l’homme », à une autre extrémité de cette échelle de classification linéaire, hiérarchique et illusoire, du côté des sciences « molles ».
J’avais déjà entendu que cette façon de catégoriser les disciplines était trop réductrice ; il semble évident qu’il existe une continuité entre ces différentes disciplines et que si elles veulent toutes prétendre au statut de sciences, elles doivent employer des démarches méthodologiques similaires. Il m’a cependant pourtant été difficile de trouver un document approfondi qui abordait ces problématiques.

Ce livre de Jean Piaget, édité pour la première fois au milieu du XXème siècle, s’intéresse à tout cela, à un moment où la sociologie en était encore plus qu’aujourd’hui à ses balbutiements. Sous le terme de « sciences de l’homme », Piaget distingue les sciences nomothétiques, juridiques, historiques et les disciplines philosophiques. On aperçoit tout de suite qu’il s’agit aussi pour Piaget de s’interroger sur le statut épistémologique de la philosophie est de répondre à la sempiternelle question à savoir « la philosophie est-elle une science » ; il explicitera longuement les postures de ceux qui Comte, positivistes, tranchent non, et de ceux qui comme Hurssel, tranchent oui. Selon Piaget,
« Il est donc sans doute assez vain de chercher à tracer des frontières immuables entre tel groupe de notions considérées comme seules scientifiques et tel autre qui serait réservé à la philosophie. »
Même si la tendance « d’établir des frontières définitives ou simplement stables entre les problèmes scientifiques et les problèmes philosophiques » est de plus en plus fréquente, Piaget préfère questionner plutôt que trancher. Il revient aussi sur l’histoire des sciences et de la philosophie pour tenter d’expliquer les problèmes actuels, universels et intemporels. En effet il y a toujours eu un retard de l’expérimentation sur la déduction, car il est psychologiquement moins coûteux d’intuitionner et de déduire que d’expérimenter.

Tout un chapitre est consacré à la psychologie, qui est après tout la discipline pour laquelle Piaget est le plus connu. Pour l’étudier, il adopte une posture épistémologique. Un des problèmes que rencontre la psychologie (comme toutes les sciences et particulièrement celles « de l’homme ») est la formation d’ « écoles » en son sein, comme celle de la psychanalyse. Le risque est de tomber dans l’isolement voire le dogmatisme et de redresser les barrières que Piaget cherche à faire tomber entre les sciences.

Enfin Piaget s’attache beaucoup à définir et défendre le « structuralisme », et particulièrement celui dit « génétique ». Ceci constitue les parties les plus complexes et les plus délicates à remettre dans leur contexte, mais non moins intéressantes.

Cet essai est passionnant, à la fois grâce aux questions soulevées, mais aussi grâce à la manière dont elles sont posées et traitées.