Chemin d'école
de Patrick Chamoiseau

critiqué par Provisette1, le 1 août 2013
( - 11 ans)


La note:  étoiles
"Conteurs, contez...!"
S'il m'avait été impossible d'évoquer le bouleversant "L'esclave vieil homme et le molosse", il me faut, ici, vous conter tout le plaisir et la douleur intérieure que j'ai pu ressentir en lisant ce second volume du "chemin d'enfance" de Patrick Chamoiseau...

Quelle merveille, encore!

A chaque instant, chacun de ses mots nous danse la vie, dans ce créole de poésie et d'émotions, la vie d'antan sur cette terre de Martinique ou il est né de Man Ninotte, une vie "mêlée", sa vie-"envie", envie d'aller à l'école "avec les Grands", un monde-mystère où se côtoient Le Maître, "grand pourfendeur de sabir créole" (- "Que voyez-vous ici?... Un chouval, mêssié!... Tudieu!... c'est un cheval!"... "-) par l'utilisation éperdue de l'accent brodé des Blancs-france."..."et "le tok dévastateur d'un index-marteau", "supplice" pour cet apprentissage du "français du savoir, de l'esprit et de l'intelligence"..., Maître qui , pourtant, "lui-même retrouvait son créole" quand "Il lui arrivait aussi, en quelque heure de fatigue, d'atténuer ses "r" ou de perdre son "u"-...

...Un monde ou vous découvrirez également Gros-Lombric magicien..., "conteur de zombies"..., un monde où le négrillon va devoir "lâcher l'émotion, balancer un senti", le monde aussi des "petites-gens" vivant d'aujourd'hui, d'hiers et des longs temps d'antans...

...Un monde ou vous ressentirez, sans nul doute, combien, et avec raison et justesse, Patrick Chamoiseau nous transmet, nous offre, à nous lecteurs mais plus particulièrement aux "Petites-personnes"... des Antilles, de la Guyane, de Nouvelle-Calédonie, de la Réunion, de l'île Maurice, de Rodrigues et autres Mascareignes, de Corse, de Bretagne , de Normandie, d'Alsace, du Pays Basque, de Provence, d'Afrique, des quatre coins de l'Orient, de toutes terreurs nationales..." "cette parole de rire amer contre l'Unique et le Même, riche de son propre centre et contestant tout centre, hors de toutes métropoles , et tranquillement diverselle contre l'universel, est dite en (votre) nom."
En amitiés créoles."

Toujours et encore et tout à la fois, un ravissement de lecture d'une poésie contée, de contes de vérités et de grandes douleurs ancrées sur cette terre ainsi qu'au plus profond de leurs coeurs.

Est-ce nécessaire de vous dire de le lire?
De vous dire combien j'ai de bonheur(s) en même temps que souffrance(s) à me plonger et vivre "dans" les récits de P.Chamoiseau?
C'est une langue belle ! 6 étoiles

Un négrillon, nul autre que l'auteur, nous dit sa vie à l'âge des candeurs. L'enfant-maison devient enfant-école, voit se changer son enfance créole. Désillusion, culture réprimée, extinction, perte de volonté, enfant-regard, vie par procuration, et découverte du livre-passion.

La langue est belle, une éclosion de sons, bourgeons de mots aux merveilleux surgeons. Là est surtout la force de ce livre, dans son langage à la fois sobre et ivre.
Moins bien m'a plu tout le cœur de l'ouvrage (que furent dures à tourner ces pages !), le narrateur n'y est plus que regard, à peine est-il présent dans son histoire : l'ouvrage alors devient de biographie, et j'aime peu cette absence de vie. Elle fut moi et je le comprends lui, mais n'aimais pas ce manque d'énergie.

Froidmont - Laon - 32 ans - 27 juin 2023


Question d'identité 9 étoiles

Je n'imaginais pas, avant de lire ce livre, comment pouvait se dérouler l'apprentissage scolaire à la Martinique. C'est donc avec une grande curiosité que j'ai ouvert "Chemin d'école", et j'ai découvert ce petit bonhomme qui rêvait "d'aller", de s'envoler et d'emprunter la même direction que ses soeurs et frères, avec une impatience certaine.

La première étape, ce qui équivaut sans doute à notre maternelle, se passe plutôt bien. Bien qu'affaibli par l'abandon provisoire pour quelques heures de sa "Manman", cela lui plaît. Une maîtresse très maternelle, justement, des activités plaisantes, que l'enfant aime à reproduire à la maison, une espèce de cocon bienveillant, tout cela n'effraie nullement sa jeune âme.

Et puis un jour, il prend enfin le chemin des "grands". Là, tout change... Et la partie "survie" commence...

C'est à ce moment que j'ai été surprise.
L'apprentissage de la langue française assuré par un Maître qui, bien que Créole lui-même, utilise de drôles de moyens pour apprendre ce langage qu'ignorent la majorité de ses élèves, les mots blessants qui fusent, les punitions physiques, tout ceci m'a laissé un goût amer.
On a peut-être connu la règle en fer sur le bout des doigts, pour avoir commis tel ou tel méfait, ou la position à genoux sur cette même règle, au coin... Mais là on bat les enfants, certains enfants surtout, ceux qui ne semblent presque rien et qui ne deviendront rien, très probablement ! Et tout cela pourquoi ? Parce qu'on exige d'eux de renier leur culture, de prononcer les "U" et de marquer les "R", c'est tout aussi difficile que d'apprendre une langue étrangère, et pourtant le français devrait être la leur et ils devraient l'acquérir de façon innée...

Tout cela m'a bien désappointée, je n'imaginais pas, je l'ai déjà dit, de tels agissements.

Patrick Chamoiseau nous décrit son enfance de façon poignante, avec cette écriture si particulière, usant de vocabulaire créole. Des images enfouies qui ont dû ressurgir douloureusement à la rédaction de ce livre, certaines révèlent toutefois une certaine poésie et appuient le regard de l'enfant qu'il était.

Nathafi - SAINT-SOUPLET - 57 ans - 19 janvier 2014