Retour dans la neige
de Robert Walser

critiqué par Jlc, le 13 juillet 2013
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Promenades littéraires
Au début du vingtième siècle, les journaux et revues littéraires de langue allemande publiaient des textes, généralement courts, proposés par des écrivains. On appelait ça des feuilletons, différents de ceux de langue française en ce qu’ils ne racontaient pas une histoire, comme par exemple « Les mystères de Paris » d’Eugène Sue, mais parlaient de l’air du temps ou de « choses vues ».

« Retour dans la neige » recueille des articles publiés au début du vingtième siècle, de l’arrivée à Berlin de Robert Walser à son retour à Bienne, sa ville natale au sud du Jura suisse. Certains de ses amis trouvaient qu’il se dispersait dans des récits donnés à des revues souvent éphémères. Ceux qui sont réunis dans ce livre montrent que ce n’est pas le caractère momentané de ces revues qui en altérerait le caractère. On y retrouve tout ce qui fait la qualité de son écriture, le charme de ses narrations, la poésie de ses images, l’empathie qu’il sait faire naître de chaque rencontre l’ironie de son observation, « l’illusion des bonheurs doucereux » dont il se méfie, l’ambivalence entre vérité et réalité, le bon sens de sa modestie et surtout sa « satisfaction dans la pratique de l’écriture, enjouée et généreuse ».

Ce qui frappe d’abord, c’est l’unité de ton et la simplicité de l’écriture (« la simplicité doit être un luxe ») pour traiter des sujets fort différents, même si promenade, voyage ou flânerie sont des thèmes récurrents. Il raconte une rue avec son activité, son trafic, la prudence qui est devenue une habitude mais tout ceci n’est qu’une façade, une vitrine d’une « propreté méticuleuse » qui « affiche la joie de vivre, ne serait-ce que pour respecter les conventions » et là on retrouve l’ironie de Walser dont la fausse naïveté n’est pas dupe. Le tramway ou le train où il y a toujours quelque chose à voir ou à entendre « de beau, de gai ou de triste, qu’on n’oublie pas » sont autant de sujets d’étonnement et d’empathie.

D’autres textes sont plus ambitieux comme l’histoire de Madame Scheer, femme fort riche vivant dans un quasi dénuement, acariâtre voire hargneuse et dans les yeux de qui on pouvait lire pourtant « une supplique, la demande d’un peu d’amour ». Ou encore la petite Berlinoise : Walser se met dans la tête d’une petite fille pour décrire le monde dans lequel elle vit avec son père. C’est magistralement réussi avec cet art au second degré quand cette enfant dit détester les enfantillages et s’étonne qu’on « ose donner à des enfants des livres qui ne dépassent pas leur horizon ». Les choses-elles changé depuis ?

Ces récits sont empreints très souvent d’une grande poésie, justifiant ce que Stefan Zweig disait de Walser en parlant de la « beauté apparemment involontaire qui possède la simplicité et la pureté des poèmes ». Il sait décrire « les couleurs du soir qui sonnent comme un chant d’adieu » ou lorsque « la campagne devient alors un chant et ce chant était beau à mourir ». Et « chaque soir fait du monde un songe ». Cette beauté poétique ne peut effacer « la détresse et le caractère insoutenable du monde ». Lui, qui se voulait petit bourgeois et citoyen du monde, savait bien que « la paix et la liberté doivent d’abord être en chacun de nous avant de pouvoir exister ».

15 ans plus tard Walser, devenu homme à tout faire dans une clinique psychiatrique, cessait définitivement d’écrire avant de mourir au cours d’une promenade, dans la neige, le jour de la Noël 1956. Solitude, schizophrénie, poésie, gâchis et malgré tout quelques pages magnifiques, traces d’un destin brisé.