Les Juifs, le monde et l'argent: Histoire économique du peuple juif
de Jacques Attali

critiqué par Macréon, le 28 mars 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Une histoire économique du peuple juif
Impossible de rendre compte décemment du remarquable ouvrage de Jacques Attali consacré au rapport séculaire des Juifs avec l'argent. Ce qui suit n'est pas une critique mais une note de lecture qui incitera le lecteur virtuel à approfondir la question ... et vérifier à quel point l’auteur s'attache à casser les reins de quelques tabous, clichés ou préjugés tenaces et simplificateurs qui accompagnent la question.
D'une façon générale, la Bible, dans l’ancien Testament, invite le "peuple élu" à s'enrichir "pour mieux servir Abraham." Par contre, pour les Chrétiens, la richesse nuit au salut ( on connaît la parabole du jeune homme riche qui est invité à se dépouiller de tout pour arriver au Royaume des Cieux). Dans les Evangiles, la pauvreté est considérée comme un idéal à atteindre, un moyen de parvenir à Dieu.
L'Eglise va aussi interdire le prêt à intérêt ouvrant ainsi le boulevard et laissant par conséquent le monopole des métiers d'argent aux Juifs. Elle préférera confier les terres à des chrétiens et se contenter de prélever une dîme.(impôt de 10 % sur les récoltes)
Aux alentours de l’an 90 après J-C, les communautés juives furent décimées par les légions de Rome.
Déjà, l'essentiel de la doctrine est consignée (rabbin Yehouda). Pas de richesse qui ne soit partagée ,la tsedaka, 10 % des revenus sont prévus pour les plus pauvres. La monnaie permet de régler sans violence tous les conflits. L'accumulation, la trop grande richesse suscite des jalousies qu’il faut éviter.
Jacques Attali nous explique, tout au long de sa longue enquête historique, que les Juifs développeront au cours des siècles des instruments de crédit, des techniques financières et commerciales efficaces. Ils savent faire travailler l'argent. "Durs, tenaces et difficiles en affaires avec la réputation d'être très habiles dans le commerce" (p 327). Ils seront courtiers, conseillers des princes ( les juifs de cour) bailleurs de fonds, banquiers. Ils seraient à l'origine du chèque, du billet à ordre et de la lettre de change. Ils auraient même inventé le capitalisme au XVIe siècle ( à Bruges au Moyen-Age), contredisant la thèse de Max Weber selon laquelle la position du protestantisme fut une des sources principales du développement capitaliste aux XVIII et XIXe siècle.
"Pendant que les Juifs russes inventent le socialisme - communiste- révolutionnaire, destructeur de l’ordre social - et que les Juifs autrichiens découvrent la psychanalyse, les Juifs américains participent, au tout premier rang, à la naissance du capitalisme américain et à l'américanisation du monde."(page 419). Par exemple, ils fondent Hollywood.
Vers l’an mille, il y a 150.000 Juifs en Europe . Ils seront les seuls à avoir le droit de faire des prêts pendant trois siècles. Les Souverains, la Papauté feront appel à eux par exemple pour financer, en partie, les Croisades. Parfois et à certaines époques, à un taux très élevé: de 50 à 80 %. Cela nourrira la rancoeur sinon l’hostilité franche et déclarée des Chrétiens.
"Il est difficile de se passer de crédit et donc des juifs, mais on leur en veut de ne pas pouvoir se passer d'eux. Cela provoque spoliations, agressions, expulsions ( avec confiscation des biens), ou massacres." Il faut ajouter les Juifs du Moyen-Age et de la Renaissance étaient pratiquement chassés de nombreux métiers.

Attali évoque aussi sans tabou l’existence du gangstérisme juif(associé à la Mafia), aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Il rappelle l'expérience des kibboutz, collectivisme communautaire intéressant qui finit par échouer.
Par opposition à son passé séculaire de nomadisme, (l'identité juive est d’abord nomade, aujourd’hui, tout le monde le devient),l'Etat d’Israël, par contre, est une entité sédentaire qui a du mal à s’y habituer. " La paix entraînera l'intégration de ce pays dans la région, en préalable au métissage", pronostique Attali, non sans optimisme. Est évoqué le rôle sans pareil des Juifs dans l'explosion de la révolution industrielle du XIXe siècle, notamment en France.
L'auteur traite aussi - rapidement -du problème de l'éventuelle "disparition" à long terme du peuple juif par assimilation et mariages mixtes.
Jacques Attali: “en décidant d’écrire cette histoire, on pourrait laisser croire qu'il y a un peuple juif uni, riche, et puissant, placé sous un commandement centralisé,en charge de mettre en oeuvre une stratégie de pouvoir mondial par l'argent, fantasmes qui ont traversé les siècles, Luther, Voltaire, les Protocoles des Sages de Sion, Marx Mein Kampf, jusqu’à tout ce que charrie aujourd'hui anonymement l’Internet. ll est essentiel pour le peuple juif d'affronter cette partie de son histoire qu'il n’aime pas et dont, pourtant, il aurait tout lieu d’être fier."
Pour l’anecdote, indiquons que dans une interview donnée à l'Express du 10/1/2002, Jacques Attali affirme que le seul cinéaste militant prosémite de l’époque , c'est Chaplin, que même Hitler le croit juif alors qu'il ne l'est pas ! ( non démenti par Géraldine Chaplin au cours d'une émission de télévision).