A l'exemple de mon frère de Uwe Timm

A l'exemple de mon frère de Uwe Timm
(Am Beispiel meines Bruders)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Débézed, le 1 juillet 2013 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 9 étoiles
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Mon frère SS

Plus d’un demi-siècle après la mort de son frère aîné sur le front russe, après le décès de sa mère, Uwe Timm peut enfin évoquer la disparition de ce frère âgé de seize ans de plus que lui qui s’était engagé dans la Waffen-SS et qui lui manque tellement. Ce livre témoignage montre une nouvelle fois le profond malaise ressenti par les enfants allemands, nés pendant et après la guerre, qui peinent tant à savoir ce qu’ont été et ce qu’ont fait leur père, leur frère, leur oncle,… dans la triste épopée nazie. « Pour la génération des pères, la génération des protagonistes, vivre c’était raconter ou, au contraire, passer sous silence. » Ils ont eu droit, dans la plupart des cas, à la chape du silence.

Uwe Timm n’obtient qu’au décès de sa mère un carnet de notes succinctes écrites par son frère avant de mourir en Ukraine en 1943. Avec ces notes, quelques lettres écrites par son frère, son père ou sa mère, quelques confidences récoltées, quelques témoignages arrachés dans son environnement, il essaie de reconstituer ce que fut la vie de soldat de son frère, son niveau d’engagement dans la funeste division Totenkopf, son niveau de responsabilité.

Né en 1940, après une sœur totalement délaissée, ce n’est qu’une fille inutile, et un frère pas très viril qui fait cependant tout ce qu’il peut pour satisfaire son père qui, lui, s’est engagé dès le début des années vingt dans les corps-francs, Uwe reconstitue la vie de ce père, de sa mère, de son frère, de sa sœur, de sa famille pour essayer de comprendre ce qui a pu conduire ce frère adulé à s’engager dans l’une des plus sinistres divisions de la Waffen-SS. « Mon frère, c’était le garçon qui ne mentait pas, qui marchait toujours droit, qui ne pleurait pas, qui était vaillant, qui obéissait. Le modèle». Sa mère n’aime pas la guerre qui lui a pris son fils mais est sensible au prestige de l’uniforme, la sœur est morose et lui n’est pas apprécié par son père parce qu’il n’est pas un enfant viril comme son grand frère essaie de l’être. Une famille nazie ordinaire qui se pose toujours la même question : « Que se serait-il passé s’il ne s’était pas engagé dans la SS ? » « La Wehrmacht, c’étaient les soldats qui n’avaient fait que leur devoir. Ceux de la Waffen-SS avaient fait plus que leur devoir ».

Ce livre pose clairement, et sans aucune concession, le problème de la responsabilité collective du peuple allemand. « Presque tous ce sont détournés et tus lorsque les voisins juifs ont été cueillis à leur domicile et ont disparu comme par enchantement, et la plupart se sont tus une autre fois, après la guerre, lorsqu’on apprit où l’on avait fait disparaître les disparus ». « On ne le savait pas – on n’avait pas voulu le voir, on avait détourné les yeux». Chacun fuit, du plus humble des mortels au Feldmarchal, devant sa part de responsabilité : la fameuse contrainte des ordres qu’il faut bien exécuter et qui convenait si bien aux faibles qui avaient envahi les postes à responsabilité, ne connaissant que l’obéissance aveugle, jusque dans leur vie intime, incapable de mettre en cause la parole du chef. Cette médiocrité qu’Anna Arendt avait si bien comprise au procès d’Eichmann, mais aussi cette « … propension à relativiser sa propre faute, à se décharger de sa propre culpabilité sur les vainqueurs, à faire d’eux des complices. ». La dictature de l’obéissance leur a servi d’impunité. « En vertu de cette contrainte, les meurtriers de masse purent courir librement après la guerre, redevenir juges, médecins, policiers, professeurs. » Alors que le courage n’était que d’obéir à des ordres ignobles et non de refuser de commettre l’horreur malgré les risques encourus.

Et quand l’horreur devient banalité quotidienne, chacun fuit sa responsabilité, il ne reste aux familles qu’à mesurer le degré d’implication des leurs dans l’accomplissement de l’abomination, seulement un problème d’échelle de gravité dans la mesure de l’ignominie. Et quand le frère met un terme définitif à son journal, on comprend qu’un échelon dans l’indicible a été gravi : « Je mets ici un terme à mon journal, estimant absurde de rendre compte de choses aussi atroces que celles qui se produisent parfois. »

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