Bureau de tabac, et autres poèmes
de Fernando Pessoa

critiqué par Kinbote, le 26 mars 2003
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Le meilleur de Pessoa
Qu’est-ce qui fait que d’emblée on adhère au propos de quelqu'un qui écrit :
« Je ne suis rien/ Jamais je ne serai rien/ Je ne puis vouloir être rien »
alors qu’on est tenté de fausser compagnie à un autre qui ferait l’inventaire de ses possessions et qualités. Parce que, nous dit aussitôt le « je » du poème, il « porte en lui tous les rêves du monde ».
Fernando Pessoa, secondé de ses hétéronymes, pratique une poésie du dénuement et de la dépossession
[« Tout est songe en tant que chose réelle vue du dedans »], de la simplicité [l’unique signification intime des choses, c’est qu'elles n'aient aucune intime signification] voire de l'autoflagellation [« je suis vil, je suis méprisable, je suis comme tous les gens »] jusqu'à prôner l’absence totalement d'engagement dans les choses du monde [« Pour moi je ne ferais pas un pas afin de modifier/ Ce qu'on appelle l’injustice du monde]. Une poésie qui rappelle en bien des points la philosophie d'un autre Portugais : Baruch Spinoza.
Il nous donne ce beau poème écrit en face du « Bureau de tabac » [« Il mourra et je mourrai/ Il laissera son enseigne, et moi des vers »] qu’il voyait de chez lui et un extrait d’un poème de ses plus célèbres alter ego, Alberto Caeiro, « Le gardeur de troupeaux » [« Je suis un gardeur de troupeaux/ Le troupeau ce sont mes pensées »]
Ce petit recueil présente l'avantage de ne pas encombrer de trop de poèmes l’esprit des lecteurs qui découvriraient l’oeuvre de l'habitant de Lisbonne, si bien qu’on a envie d'en lire d'autres, de ces poèmes digestes et légers mais qui pourtant possèdent toute la densité des choses du monde, comme cernées à la plume du poète d'un gros trait noir.