Rock en vrac : Rencontre avec des caïds du rock et du roman noir
de Michel Embareck

critiqué par Numanuma, le 26 juin 2013
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
Entre ici camarade
Il y a des moments, comme ça, où je peux me faire un plaisir souverain. Je viens de finir un livre, les mots prennent d’assaut mon esprit, je peux coucher sur le papier, d’un trait, mon ressenti d’après lecture. Volets clos, un disque sur le platine, en ce moment, le Maiden Voyage de Herbie Hancock, des sensations bien présentes, presque envahissantes, le clavier de l’ordi frétille, je ne sais pas trop où je vais. Mais j’y vais, lentement, tranquillement.
On parle beaucoup de l’exception culturelle française en ce moment et pas forcément pour de bonnes raisons. Je vais vous en donner une, moi, d’exception française ! Ce merveilleux écrivain qu’est Michel Embarek. Bien sûr, l’utilisation du qualificatif « merveilleux » est absolument casse-gueule, voire suicidaire. Faut avoir des arguments derrière au risque de se retrouver éparpillé façon puzzle par tous les empêcheurs de profiter en rond qui n’auront pas la même lecture.
Problème, des arguments rationnels, j’en ai pas ! Et je vous emmerde ! On parle d’autre chose là, de connivence, du sentiment inexplicable de savoir de quoi il retourne, d’une communauté d’expérience alors qu’entre moi et l’auteur, rien de commun.
Et puis, le gars est de Franche-Comté, ça crée des liens même si, pauvre de moi, je suis né en région parisienne alors que mes racines sont plantées bien profondément, là-bas, dans le pays de Gy, en pleine Haute-Saône.
Et puis, Embarek parle de rock alors, voyez-vous, ça me titille au niveau du cortex, ça m’émeut, ça me retourne la tripaille juste à lire AC DC et Best sur la quatrième de couv’.
Wep, Best. Le gars a vécu l’aventure de l’autre journal rock de France. Rock & Folk tient toujours, Best a trépassé et c’est un vide qui ne se comblera jamais. Best, c’était l’alternative ou le complément de R&F, deux visions, deux paroles.
La première partie de l’ouvrage, c’est ça, du rock raconté à sueur de plume, à une époque inconcevable aujourd’hui où il était possible à un journaliste de faire son boulot sans avoir à affronter une armée d’attachés de presse et de types en costard sortis des écoles de commerce. L’écriture d’Emabrek c’est ça, l’esprit d’une époque révolue sans internet, sans MTV, une époque vinyle, radio et rencontres backstage bon enfant, des pauses binouze au café du coin, sans chichi, avec les stars de l’époque.
Quinze chapitres balancés avec la verve du type qui y était, qui a aimé ça parce que le rock a changé sa vie. Et le lecteur y est aussi. C’est que le gars s’est pris la vague punk en pleine tronche, et son frère ainé, le pub rock. Il en reste forcément quelque chose.
Le premier chapitre, retraçant l’aventure de Best est toute en émotion et en retenue. Tu fermes les yeux et tu te retrouves dans les locaux, rue d’Antin, à Paris. Avec peu de mots finalement, Embarek nous replace dans l’époque, dans le lieu, notre bureau est à côté du sien et on écoute la même musique que lui sur la chaine hi-fi du journal.
Les chapitres suivants, toujours avec la même économie de mots et la même capacité à faire ressortir l’émotion du moment, voient défiler AC DC, Bo Diddley, les Sex Pistols, Lavilliers, Gainsbourg, The Clash… Je suis sûr qu’un volume deux puis trois pourraient voir jour. Mais l’émotion ne fait pas tout. Il y a l’érudition aussi, surtout palpable aux chapitres 14 et 15 consacrés à la littérature américaine.
Suivent cinq courtes nouvelles dans la même veine : blues, rock, pleines d’argot, de musiciens morts et talentueux et de bikers tatoués.
J’ai moins goûté la dernière partie, une série de chroniques parues dans Rolling Stones consacrées à des artistes dont je n’ai jamais, mais alors jamais, entendu parler. Pas moins bons que les autres chapitres, juste que l’exercice était différent.
A la différence de nombreux ouvrages d’anciens combattants des temps glorieux où le rock représentait quelque chose de différent, un temps pas encore gangréné par les calculs de rentabilité, les problèmes de retour sur investissement, les audiences, le bouquin d’Embarek n’est pas une compilation d’articles anciens mais bien une œuvre d’auteur. Des mémoires peut-être même si l’auteur n’est pas le centre du récit. Pas de nostalgie, de la tendresse. L’auteur a plus d’une corde à son arc, a pondu beaucoup d’autres livres, donne dans le polar, écrit sur le rugby et doit bien s’offrir, de temps en temps, un verre de vin jaune.
A la tienne et entre ici camarade.