Lord Mountbatten
de François Kersaudy

critiqué par Jlc, le 16 juin 2013
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Plus qu'une vie, un destin
Louis comte Mountbatten est, avant même sa naissance, un héritier. D’origine allemande, il est un arrière petit-fils de la reine Victoria, lié à travers de multiples cousinages aux familles régnantes européennes et bien sûr à la couronne britannique. Cet héritier, qui aurait pu se contenter de gérer son nom comme d’autres gèrent leur fortune, va se révéler un personnage exceptionnel dont François Kersaudy, spécialiste d’histoire diplomatique et militaire contemporaine, a manifestement pris plaisir à en décrire les multiples facettes.

Dés les premières lignes, l’auteur le qualifie de « grand, beau, noble, riche, courageux, tolérant, travailleur, intelligent, énergique, inventif, généreux, charmeur, chevaleresque, enjoué, intuitif, éloquent, diplomate, patriote et professionnel jusqu’au bout des ongles ». Mais il est aussi « imprudent, ambitieux, mesquin, vaniteux, intrigant, bavard, égocentrique, capricieux, manipulateur, cyclothymique et passablement mythomane ». En un mot, un superbe personnage de roman. Cette biographie est une totale réussite parce qu’elle s’appuie sur une proximité admirative qui ne contredit jamais la rigueur de l’historien.

Pendant la première guerre mondiale, le jeune Mountbatten qui a moins de 18 ans veut se battre dans la Royal Navy, suivant ainsi la tradition familiale. Cette période est marquée par le drame de son père qui, après une cabale indigne liée à ses origines germaniques, est chassé du poste de Premier Lord Naval. Louis ne l’oubliera jamais « C’est un enfant qui est entré dans la guerre et c’est un homme qui en est ressorti ». S’il sait déjà se mettre en valeur, avec un sens aigu de la publicité, il démontre surtout son don inné pour le commandement. Ce jeune aspirant heureux devient un ami du Prince de Galles, le futur Edouard VIII qu’il sait distraire du doute et de la dépression. Cet homme qui est l’impatience même devra attendre la mort d'un grand-père récalcitrant et fortuné pour épouser une riche héritière, Edwina Ashley. Sa carrière est brillante comme la vie mondaine que mène le jeune couple. Ils ont deux filles et héberge un cousin délaissé par sa famille, le futur mari de la reine Elisabeth II. Heureux ? Peut-être pas autant qu’il y paraît. Edwina va vite s’absenter de plus en plus souvent, mère aussi fugace qu’inattentive, épouse aussi volage que jalouse. C’est pour Mountbatten « un choc effroyable » qu’il va surmonter par une ardeur au travail peu commune.

Aide de camp naval du nouveau roi Edouard VIII, poste purement honorifique, mais on y sait le marin sensible, il a le courage de manifester son opposition à la remilitarisation de la Rhénanie par le Troisième Reich quand Français et Anglais restent impuissants. Il prend position lors de la crise dynastique qui aboutira au retrait du roi en considérant qu’Edouard VIII « se devait avant tout à son peuple ». Il explique à Churchill les carences de la Royal Navy etc. etc.

Capitaine intrépide mais qui déteste l’improvisation, la seconde guerre mondiale va lui permettre de développer ses talents en tant qu’organisateur, diplomate et surtout chef. Il sait comme personne mobiliser ses troupes, les convaincre, leur expliquer qu’une défaite peut être l’espoir d’un succès futur. Son fabuleux carnet d’adresses lui permet d’avoir accès à tous ceux qui comptent. Il le doit à ses origines, ses relations et surtout à son charisme, son prestige et son charme. S’il a l’art de trouver des solutions simples à des problèmes compliqués, cet intrigant né se met parfois dans des situations extravagantes, ce qui fait dire à l’un de ses pairs : « Il n’y a personne que j’aimerais mieux avoir que Mountbatten si j’étais dans le pétrin…. Et personne qui m’y mettrait le plus sûrement ».

Il a 43 ans quand Churchill lui confie le commandement suprême en Asie du Sud-Est avec l’objectif de reconquérir l’empire perdu. Il a trois objectifs : lutter contre la malaria, comment continuer à combattre pendant la mousson et changer le moral des troupes. Ce chef de guerre est aidé par…Edwina qui a changé totalement de mode de vie et s’occupe avec une infatigable énergie d’organisations humanitaires. Après la capitulation du Japon, le chef de guerre se transforme en administrateur chargé de préparer l’indépendance de l’Inde, en préservant son unité et la paix civile. Il est le dernier vice-roi des Indes et maîtrise une course d’obstacles épuisante, aidé par Nehru qui sera le premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante et… l’amant de sa femme. (Cette très romanesque histoire d’amour a été racontée par Catherine Clément dans « Pour l’amour de l’Inde ».) Le bilan sera pour le moins contrasté mais Lord Louis aura évité le pire et son retour à Londres suscite dans la population indienne une très vive émotion. « Voilà qu’après deux cents ans, les Britanniques ont enfin conquis l’Inde ».

Son destin ne s’achève pas là. Le jeune garçon de 15 ans qui avait vu son père révoqué injustement du poste le plus important de la marine est nommé quarante ans plus tard à cette même responsabilité. Edwina continue de tisser jusqu’à sa mort en 1960 son histoire d’amour avec Nehru par des lettres quotidiennes et un mois passé ensemble chaque année sous le regard maintenant chevaleresque de Lord Louis. La mort le surprend à 79 ans quand l’IRA fait sauter son bateau de pêche, tuant sept personnes.

C’est un livre passionnant sur un homme exceptionnel et sur une époque à la fois proche de nous (Kersaudy a rencontré Mountbatten dans les années 70) et pourtant si différente. Sa conduite des hommes, le respect qu’il leur porte, la volonté d’aller jusqu’au bout, son courage sont autant de qualités intemporelles. Les circonstances, la guerre, la décolonisation, l’empire perdu ont été autant d’opportunités que Mountbatten a su saisir, lui qui disait avec beaucoup de vanité : « J’ai la faiblesse congénitale de penser que je peux tout faire ». Enfin, le romanesque de sa vie intime ajoute au personnage une humanité attachante.

Les héritiers ont rarement un destin. Lord Louis en eut un qu’il bâtit toute sa vie et que son assassinat a encore magnifié.