Impurs de David Vann

Impurs de David Vann
(Dirt)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Gregory mion, le 1 juin 2013 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 101ème position).
Visites : 3 756 

The dirty boy.

La Californie est un four crématoire pour la mauvaise herbe de l’humanité, ainsi pourrait-on caractériser la nouvelle entreprise romanesque de David Vann. Faire de la Californie un État-caveau, cela modifie les perceptions d’un lectorat habitué aux figures imposées du cinéma. Dans cette Californie-là, le soleil est un élément défavorable. Il est le point d’orgue d’une nature agissante. Les personnages sont tributaires de la chaleur : ils se consument à petit feu tout au long du sinistre entonnoir de leur destin. On connaît en effet par avance la destination des protagonistes, comme dans n’importe quelle tragédie du reste. Mais la mort n’est pas un phénomène décisif pour les agents du tragique ; ce qui compte, c’est la manière avec laquelle ils se dirigent vers le dénouement.
La figure centrale du livre s’appelle Galen Schumacher. C’est un jeune homme en début de vingtaine, barbu comme un prophète, maigre comme un ermite. Il cohabite avec sa mère Suzie-Q. Leur relation est minée de toutes parts. Ils forment un microcosme qui détermine l’espace du tragique : ce sont deux forces brutes qui s’affrontent sans espoir de fuite. La tragédie ne tolère aucun appel d’air et l’omnipotence du soleil garantit un climat d’étouffement. De plus, les interférences causées par les personnages secondaires ne font qu’accroître la tension initiale entre Galen et Suzie-Q. La tante et la cousine, Helen et Jennifer, excèdent le tempérament délicat de Galen. Ce dernier est un amateur de méditation. C’est un Bouddha rachitique, végétarien, un point de rectitude morale parmi la pesanteur des choses. Toujours enclin à épouser les formes naturelles, à se rouler dans la terre et à se préoccuper de la santé de son âme, Galen doit se protéger contre le comportement des incroyants. Sa principale difficulté consiste à résister aux assauts de concupiscence de sa cousine. À chaque fois qu’il succombe, il retombe dans le concret, il s’éloigne de la « transcendance ». Et comme il estime que son âme est âgée, qu’elle est l’une de ces âmes qui ont atteint la fin d’un cycle, Galen est soucieux de ses inconséquences. C’est un ruminant des abstractions qui déteste les ruminations vulgaires, d’où son désarroi lorsqu’il écoute le bruit de la mastication (pp. 70-71). Il supportera de moins en moins que ses méditations soient interrompues.
Le jeune homme est cependant mieux reposé auprès de sa grand-mère, une femme qu’ils vont visiter, lui et sa mère, à intervalles réguliers. Il semble que le contact soit meilleur bien que la grand-mère, d’après les rumeurs insistantes, ait été battue par un mari ignoble, distillateur du poison génétique dans les racines des Schumacher (p. 164). Cela signifie qu’un déterminisme est à l’œuvre, qu’une semence incurable a fait son chemin dans les corps, entièrement irréversible. Ce schéma déterministe, outre qu’il conspire à la tragédie, était déjà présent dans les deux premiers romans de D. Vann. On peut donc se demander si l’auteur n’est pas en train de fabriquer un panthéon familial comparable au travail de Zola. Pour preuve, le père dysfonctionnel que Vann avait décrit dans Sukkwan Island (Jim Fenn), son premier roman, nous l’avions retrouvé plus tôt dans sa vie en lisant Désolations, le roman qui succéda à cette œuvre inaugurale. Dans cette perspective, il n’est pas interdit de penser que l’auteur reviendra sur le gène-Schumacher, qu’il nous en décrira les rapports vénéneux et les connivences épouvantables.
Impurs est en ce sens un titre approprié, qui traduit la grande ambiguïté du terme anglais « dirt ». C’est une impureté à plusieurs niveaux : d’une part la saleté formelle d’une famille qui se dynamise en fonction de ses humeurs, et d’autre part la canaillerie plus profonde de l’espèce humaine, quelque chose qui résiste à toute purification. Galen a beau persister dans la méditation, il n’en est pas moins le produit d’une famille fiévreuse. Qui plus est, le soleil n’arrange rien à son affaire, il ne fait qu’augmenter sa fièvre et sa rage, et c’est toute une fermentation de la férocité que le roman fabrique. Globalement divisé en trois actes, le livre décrit la montée en puissance d’une méditation frustrée : 1/ l’exposition des caractères et du territoire qui les supporte (pp. 9-65) ; 2/ un intermède familial dans une cabane qui favorise la promiscuité des vices (pp. 67-147) ; 3/ un final terrifiant d’allure eschatologique (pp. 149-279). En trois temps d’un mouvement sépulcral, le lecteur apprend à côtoyer Galen, il apprend à négocier avec la présence de l’homme « vêtu de terre » (p. 237), d’un point à l’autre d’une définition potentielle de l’impureté.

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Oedipe revisité

8 étoiles

Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 2 octobre 2013

Après le froid glacial de l’Alaska, c’est sous la chaleur écrasante de Californie que David Vann a choisi de planter le décor de ce troisième roman publié en France.

Nous sommes dans les années 80, dans une grande demeure familiale où Galen, 22 ans, vit seul avec sa mère. Leurs journées ne sont occupées que par les visites à la grand-mère de Galen, qui vit en maison de retraite, et par le rituel du thé sous le figuier, qui énerve prodigieusement le jeune homme.
Le lecteur sent dès les premières phrases la tension énorme qui règne entre le fils et la mère. Tension qui ne fera que monter, puis s’exacerber dès qu’entreront en scène les deux autres personnages du roman, la tante et la cousine de Galen.

Tout comme dans « Sukkwan Island » et « Désolations », c’est dans une cabane que le drame va se nouer. Dans « Impurs », il s’agit de celle où cette famille va passer quelques jours de vacances, où toute la rancœur entre les deux sœurs va s’exprimer violemment. Où la tension sexuelle entre Galen et sa cousine va atteindre son apogée, et provoquer les événements qui suivront. Événements qui occupent une large part de la seconde partie du livre, où le lecteur suit la confrontation éprouvante entre une mère et son fils perturbé.

Ce troisième roman est aussi noir et aussi perturbant que les deux précédents. David Vann a une nouvelle fois puisé l’inspiration dans sa propre histoire familiale, et cette veine lui réussit. Il signe là une magnifique tragédie, qui confirme qu’il est un grand auteur contemporain américain, et qui donne envie de découvrir très vite ses écrits déjà sortis aux États-Unis. On sait son amour pour la France, où tout a commencé puisque c’est grâce au bouche à oreille des libraires indépendants que « Sukkwan Island » a rencontré le succès que l’on sait. Nul doute que cette love story va continuer, car il est tout simplement un auteur au style impeccable, qui nous livre des histoires fortes, frappantes et inoubliables.

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