Autres cauchemars
de Yiğit Bener

critiqué par Débézed, le 27 mai 2013
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Sales bestioles !
Dans ce petit recueil de nouvelles, Bener met en scène les animaux parmi les plus répugnants de la créativité : grenouilles, cafards, araignées, sauterelles, moustiques, scorpions, crabes, …., les animaux qui, en général, transportent les peurs antiques, mythologiques, et symbolisent le malheur dans un pays qui fait le grand écart entre l’Orient et l’Occident, aux confins du monde chrétien et du monde islamique. Ces animaux, souvent insignifiants par la taille, ont la capacité de créer les pires ennuis au genre supposé supérieur et même de lui causer des tracas mortels.

Sur un ton humoristique, sarcastique, moqueur, l’auteur invite ses animaux dans son texte pour qu’ils mettent en évidence les faiblesses de l’humanité et montrent la fragilité de ceux qui se prétendent les maîtres du monde. Il utilise les animaux pour reconstituer, sous forme de fables animalières, des événements dramatiques qui se sont déroulés en Turquie ou pour faire revivre des textes un peu oubliés. Tout ce qui peut dénoncer les comportements humains, souvent trop inhumains, la cruauté, l’absence de moralité, de sensibilité, de culpabilité.

Ces nouvelles animalières, en forme de parabole, sont aussi un moyen, en filigrane, de dénoncer la politique d’un gouvernement autoritaire au pouvoir en Turquie au moment où l’auteur a écrit certains de ces textes. La nostalgie du bon temps, du temps de l’insouciance, est opposée au temps de l’exil inéluctable, nécessaire à la survie, que l’auteur a connu lui-même. C’est aussi une façon de résister, de ne pas se laisser dominer par un pouvoir injuste et cruel, de ne pas faire comme tous ceux qui supportent tout ce qu’on leur inflige. « Il y avait un goût âpre… Mais j’avale sans sourciller… comme tout le monde ». Chaque texte est ainsi ponctué, comme une fable, d’une morale à usage des citoyens.

L’auteur joue aussi sur les mots et ce qu’ils impliquent, le cafard hante les jours et les nuits de son hébergeur jusqu’à lui donner le cafard, l’escargot nargue notre monde pressé : « en continuant ainsi à progresser avec indifférence à pas d’escargot, il affiche sans doute son mépris de notre passion pour la vitesse, de notre précipitation, de la course effrénée qu’est devenue notre vie… »