La clôture des merveilles: Une vie d'Hildegarde de Bingen
de Lorette Nobécourt

critiqué par Poet75, le 24 mai 2013
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
La clôture des merveilles
Je ne connaissais pas Lorette Nobécourt, je n’avais jamais lu une ligne d’elle avant d’être intrigué par un article et d’entreprendre la lecture de « La clôture des merveilles », petit livre dont le sous-titre ne pouvait qu’attiser ma curiosité : « Une vie d’Hildegarde de Bingen ». Une sainte, une moniale du XIIe siècle, que Benoît XVI a proclamé il y a tout juste un an docteur de l’Eglise, faisant d’elle la quatrième femme à porter ce titre. Ce n’est certes pas banal, mais de là à susciter l’intérêt d’une romancière contemporaine, voilà qui avait de quoi m’interpeler! Mais non, après tout, ça n’est pas si surprenant : il y a tant de « merveilles » en effet dans la personne et dans la vie d’Hildegarde de Bingen qu’on n’est pas si étonné, en fin de compte, qu’une romancière ait l’idée de s’en emparer.
Je parle d’une romancière parce que, de fait, Lorette Nobécourt a écrit des romans et des récits, mais c’est en poétesse plus qu’en romancière qu’elle a composé « La clôture des merveilles ». Il faut dire qu’Hildegarde s’y prête bien, elle à qui furent accordés de multiples dons, parmi lesquels celui de la poésie et du chant. Ce n’est donc ni en romancière ni même en hagiographe que Lorette Nobécourt s’empare en quelque sorte de cette femme hors du commun que fut Hildegarde de Bingen. Ce qu’elle soulignera, ce qu’elle exaltera, ce qui lui servira de fil conducteur, c’est la liberté, oui la liberté d’une femme qui entre en clôture, et même, pourrait-on dire, son insoumission ! Tel est le paradoxe : le mot « clôture » que nos esprits bornés associent automatiquement à l’enfermement signifie au contraire, pour Hildegarde et ses semblables, l’entrée dans la liberté la plus parfaite, celle des émerveillements : « le monde est lent, écrit Lorette Nobécourt. Mais c’est tout de même la liberté qu’un pape couronne en 2012, faisant d’Hildegarde de Bingen la quatrième femme docteur de l’Eglise. »
Toute sa vie, Hildegarde a cultivé cette liberté et l’a déclinée de toutes les manières possibles. Elle fut une grande mystique, racontant, dictant ses « visions » et composant ainsi plusieurs ouvrages dont le « Scivas » et « Le livre des œuvres divines ». Mais semblable à toutes les grandes mystiques, elle fut aussi une femme de son époque, attentive aux événements et ayant, selon la formule consacrée, les pieds sur terre ! Elle fut musicienne, composant de multiples chants sacrés. Elle fut herboriste, connaissant parfaitement les plantes et la pharmacopée. Elle fut abbesse et fonda le couvent du Rupertsberg près de Bingen. Elle fut en contact avec les grands de ce monde, papes et empereurs, sans crainte de les tancer s’il le fallait. Frédéric Barberousse ne l’impressionna nullement et au pape Eugène III elle écrivit : « Prends garde de ne pas mépriser les mystères divins… ».
Une femme libre, oui, à tel point que, même au soir de sa vie, à l’âge de 80 ans, elle trouvera encore la force de s’opposer aux prélats de Mayence qui veulent faire déterrer un jeune homme qu’elle a pris la décision de faire inhumer dans son couvent de Rupertsberg. Coupable de crime, ce jeune homme a été excommunié ! Impossible donc que son cadavre soit inhumé dans un couvent ! Mais si, répond Hildegarde, car avant sa mort, elle l’a guidé vers le pardon, vers la réconciliation, et le jeune homme a confessé ses péchés. « J’ai regardé vers la vraie lumière, écrit Hildegarde. Les yeux grands ouverts j’ai vu en mon âme que si nous déterrions sa dépouille en nous confrontant aux ordres, cette exhumation, telle une épaisse ténèbre menacerait notre couvent. » Voilà qui est parler !
Libre, et même rebelle quand il le faut, sainte Hildegarde est chantée, magnifiée par ce superbe livre de Lorette Nobécourt. Un livre magnifiquement écrit , il faut le souligner pour finir : écrit, comme je l’ai dit, en poétesse, à tel point qu’on a souvent le sentiment de lire un poème en prose plus qu’un simple récit. « Grâce à [sa liberté], écrit l’auteur, Hildegarde a été plus loin que la doctrine et la science, elle est entrée dans la connaissance et l’amour. »
Féminisme, humanisme au coeur de la clôture... 8 étoiles

Hildegarde résonne pour ses connaissances botaniques, pour sa sagesse intraitable. Je l'imaginais de glace, elle recouvrait le feu de son ample vêtement de foi et de connaissance.

H. tout du long ainsi nommée dans ce petit livre qui avance pas à pas comme un destin. Une initiale simple qui contient toutes ses identités, toutes les étapes de son chemin. Jalonnée d'amour et de conviction, sa vie subie se choisit au fil des pages, dans un mélange de poésie et de lyrisme si subtil qu'il offre l’espace propice à ouvrir vers cette liberté chère à H. Liberté d’incarner l’amour et la foi comme elle l’entend, de laisser venir à elle ses « visions » ouvrant une voie royale à une nouvelle approche du soin et de la santé physique et psychique, de composer, écrire, sentir, chercher dans les moindres recoins de la Vie cette « viridité » symbolisant l’intensité de l’existence et la profonde beauté du monde.

On ne traverse pas ce livre comme une approche biographique de Sainte-Hildegarde. On s’insinue dans une faille temporelle s’ouvrant comme un cœur sur cette clôture des merveilles où la vie est plus vivante qu’ailleurs…

Bluewitch - Charleroi - 44 ans - 14 janvier 2020